Emprunter le pont sur la Bidassoa entre Irun et Hendaye, l'Espagne et la France, n'a pas toujours été une simple promenade. Ama, dans ce roman, a traversé ce pont en retenant son souffle, fuyant avec sa famille l'Espagne qui continuait inexorablement sa marche vers la dictature, chassant par la terreur les mauvais sujets. Il a fallu avoir l'air de juste partir pique-niquer. Pas de bagage. Quelques colliers dissimulés sous un col montant en gage de livret d'épargne. Et la peur au ventre. Aïta, le patriarche, est resté en Espagne. Il lui faudra à son tour détourner l'attention en achetant son billet de train vers la liberté et rejoindre les siens.
Et une fois la frontière passée, s'installer dans l'exil, quelque part dans une ferme landaise. Accepter d'apercevoir au loin sa terre, sans pouvoir y retourner. Accepter la fatalité d'un déclassement social, quand un des enfants ne peut fréquenter l'école faute de bicyclette pour s'y rendre, quand les mains blanches d'Ama se couvrent de gerçures sous l'effet des tâches ménagères, quand Aïta devient métayer après avoir été chef d'entreprise en Espagne. Vivre avec la peur, la nostalgie, le sentiment d'injustice.
Leonor de Récondo fait alterner avec équilibre les passages narratifs et le cahier écrit par Ama. On s'aperçoit ainsi petit à petit que les choses peuvent se vivre et se taire, se muer en invisibilité. Car l'intime a peu droit de cité quand toute une famille doit parer au plus urgent. Les douleurs d'une femme ne peuvent s'exprimer, surtout quand elle a la responsabilité immense de fédérer toute une famille.
Léonor de Recondo réalise une fresque touchante, historique et intime, où l'exil joue finalement le rôle principal.
Rêves oubliés, Léonor de Récondo (France). Points. 184 p. 6, 30 €
Rêves oubliés fait partie de la sélection du Prix du meilleur roman des lecteurs de Points.
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Une nouvelle année se profile et avec elle de nouveaux projets, de nouvelles expériences. Depuis bientôt un an, je partage mes découvertes, mes lectures "coups de coeur" à travers ce blog. Je n'aurais pas imaginé, en commençant tout cela, la somme d'échanges et de rencontres, réelles ou virtuelles, que cet espace a provoqué... Et les bouleversements continuent puisque sélectionnée, à ma très grande joie, pour faire partie des 40 jurés du
L'action démarre à Berlin, en 2001. Même si une décennie sépare les berlinois de la chute du Mur, l'Histoire est encore fraîche. Pour Alexander notamment, dont l'arbre généalogique symbolise à lui seul les complexités du destin de la RDA. Ses grands-parents ont en leur temps cru dur comme fer à l'idéal communiste, et ont dû payer le prix de leur engagement en s'exilant à Mexico. Plus tard, son père ira tester les goulags staliniens. Se mariera à Irina, dont la mère russe Nadejda Ivanovna partagera toujours l'existence. L'internationale communiste réunie dans une même famille en quelque sorte. Avec ses grands espoirs et ses désenchantements cruels.
Cap vers l'Amérique du sud. Bel oiseau, oiseau de nuit, ici comme ailleurs, nul ne souhaite vivre derrière des barreaux. Même les oiseaux de paradis dans les cages dorées, dont fait partie Paloma, gosse de riche à qui rien ne manque, ont parfois besoin de prendre l'air, de quitter le nid. Alors la jeune fille s'envole, encanaillée avec un jeune et rêveur voyou, qui, comme sa mère, est originaire des contrées honteuses et poisseuses d'Irigoy. Oiseau de malheur que ce jeune homme ? Pas si sûr. Il vient remplir une vacuité douloureuse pour Paloma, dont la meilleure amie a perdu la vie.
Comment faire parler une image, un cliché en noir et blanc, témoin muet d'une époque ? Hélène n'en a pas la moindre idée, alors elle tente : après avoir trouvé un cliché représentant sa mère dont elle ne sait rien, elle agit comme quelqu'un qui n'a rien à perdre. Elle publie une annonce dans Libération, pas pour retrouver la trace d'un inconnu croisé dans le métro, mais pour trouver des réponses que plus personne autour d'elle ne peut lui donner. Avec cette photo, qui date de près de 40 ans, une coupure de presse, des noms, un lieu. Un faisceau d'indices faible.
Il paraît que les psys appellent ce phénomène la dissociation. Mon corps est un, la réalité est autre. Moyen de défense imparable contre les agressions irréparables. Dans sa ville froide et terne des Etats-Unis, Leïla a bien compris les avantages à tirer d'un tel fonctionnement. Et comme elle se pense vouée à un destin tragique, elle se laisse brûler à petits feux, sans jamais sentir la flamme.