
Il y a le génie de ce titre, ce mot-valise qui résume vraiment parfaitement l'ambiance du roman, une trouvaille sémantique qui synthétise une histoire. L'histoire, c'est celle de Kimiâ. On fait connaissance avec la jeune femme dans la salle d'attente d'un hôpital parisien, où elle attend son tour pour une insémination. Dans cette salle à l'ambiance gênée, les pensées de Kimiâ remontent le fil de son existence, de Téhéran où elle est née, à Paris où elle vit. Entre les deux endroits, un parcours sinueux : la vie d'une famille d'opposants politiques aux régimes du Shah puis de Khomeiny, le deuil d'un pays, d'une culture étouffée par la dictature, l'exil à travers les montagnes, les menaces, l'adaptation à un nouveau pays, la quête d'identité, la terreur persistante, même longtemps après.
Négar Djavadi économise ses phrases, sait toujours comment écrire pour aller droit au but, sans jamais rien ôter de la richesse des échanges entre les personnages. Le parcours de Kimiâ s'inscrit dans la géopolitique mondiale, comme dans l'intimité la plus ténue. Entre le très grand et le très petit. Désorientale, c'est un roman tout en finesse, qui évoque bien sûr le Persepolis de Marjane Satrapi.
Désorientale, Négar Djavadi (France). 350 pages. Editions Liana Levi.22 €
Amateurs d'histoires familiales sur fond historique, ce roman est pour vous. Le contexte ? Le Cuba d'avant les frères Castro, quand les Américains régnaient en maîtres sur une terre fertile pour faire pousser les fruits, où la main d'oeuvre elle aussi se trouvait à foison, sur place ou en provenance d'Haïti. Des Américains businessmen à l'envi, qui sous couvert de développement économique imposaient leurs propres règles du jeu : un droit du travail "maison", des règles arbitraires.
Emprunter le pont sur la Bidassoa entre Irun et Hendaye, l'Espagne et la France, n'a pas toujours été une simple promenade. Ama, dans ce roman, a traversé ce pont en retenant son souffle, fuyant avec sa famille l'Espagne qui continuait inexorablement sa marche vers la dictature, chassant par la terreur les mauvais sujets. Il a fallu avoir l'air de juste partir pique-niquer. Pas de bagage. Quelques colliers dissimulés sous un col montant en gage de livret d'épargne. Et la peur au ventre. Aïta, le patriarche, est resté en Espagne. Il lui faudra à son tour détourner l'attention en achetant son billet de train vers la liberté et rejoindre les siens.