Valérie Tong Cuong est l'auteure de L'ardoise magique. Elle a accepté de répondre aux questions de Fais-moi les poches sur l'écriture de ce roman, dans lequel l'esprit de Mina va la tromper pour mieux la sauver. Une lecture à conseiller aux adultes comme aux ados.
Fais-moi les poches : - Pour écrire ce roman, vous avez dû vous mettre dans la peau d’une adolescente. Comment vous y êtes vous prise ? S’agit-il d’observation ou de puiser dans ses propres souvenirs ?
Valérie Tong Cuong : - J’ai utilisé bien sûr les réminiscences de ma propre adolescence qui fut compliquée, chaotique, intense, mais aussi l’observation de celle des autres – je m’imprègne en permanence de ceux que j’ai la chance de rencontrer, ados, enfants, adultes.
Il faut dire que j’ai des enfants adolescents : je baigne donc dans cet environnement qui m’a d’ailleurs inspiré également un court roman publié aux Editions du Moteur, la Battle.
Enfin, j’ajouterai que j’ai situé cette histoire à l'époque de l’adolescence, mais elle illustre avant tout un étranglement intérieur, un moment où l’on se sent au pied d’un mur infranchissable tout en étant dans l’incapacité à l’exprimer. Ce sentiment d’impasse, de solitude, d’être incompris, cette incapacité à avancer peut surgir à des moments très différents dans une vie, ce qui explique que tout le monde, quel que soit son âge, peut se sentir concerné par ce que ressent Mina, l’héroïne.
FMLP - En ce moment, j’ai l’impression que les romans –français en particulier et féminins la plupart du temps- évoquent beaucoup la famille, les mères en particulier. Comment expliquer cette tendance ?
V. T. C - Une hypothèse serait que l’éclatement des repères et la déshumanisation des rapports humains créent ce besoin de revenir à l’image fondatrice (et en principe protectrice, mais parfois destructrice) de la mère. Dans le même ordre d’idées, les quêtes d’identité se multiplient : beaucoup d’entre nous réalisent qu’ils se sont perdus de vue. Alors, ils ressentent le besoin de revenir à l’origine pour comprendre. Or l’origine de tout, de nos souffrances comme de nos capacités à nous défendre, réside dans la qualité de l’amour reçu (ou pas) dans l’enfance, au sein de la famille.
FMLP - Dans L’ardoise magique, la « mort » d’Alice va sauver Mina, la préserver du suicide. Pensez-vous que notre inconscient puisse créer ainsi des réflexes de survie ?
V. T. C - L’esprit est renversant dans les possibilités qu’il offre pour «protéger» le corps – la survie. Ainsi, il est admis que nous sommes capables d’occulter inconsciemment des événements de notre passé auxquels nous ne pourrions faire face. La mémoire va enfouir profondément un traumatisme, pour éviter tout simplement que nous nous suicidions. Elle reviendra seulement lorsque l’on sera assez fort pour l’affronter sans mettre notre vie en danger. Des sujets fascinants...
FMLP - Repartir à zéro quand à 18 ans, on traîne déjà beaucoup de casseroles, être « résilient », ça demande beaucoup d’efforts . Où Mina va-t-elle puiser ces forces ? Avez-vous imaginé ce que va être sa vie après vos dernières lignes ?
V. T. C - La résilience tient à différents facteurs. Le paramètre indispensable, c’est la rencontre. Seule, Mina serait incapable de modifier son point de vue. Elle resterait avec ses certitudes sombres. Mais David – « Sans-larme » va l’aider à décadrer, à revoir les choses sous un angle différent. Cependant, cette rencontre ne serait sans doute pas suffisante si Mina n’avait en elle des ressources de vie. Car malgré ses difficultés, elle a reçu de l’amour lorsqu’elle était enfant. Cet amour-là a préservé chez elle la possibilité d’aimer à nouveau la vie, et l’idée, même bien cachée, qu’elle pourrait à nouveau être aimée de son prochain. A l’issue du livre, Mina a beaucoup appris sur elle-même et sur le fonctionnement de l'être humain. Et elle sait qu'elle n'est pas condamnée à la solitude. Elle a donc les forces nécessaires pour avancer.
FMLP - Etait-il important pour vous de surprendre le lecteur à la fin du roman comme vous l’avez fait ?
V. T. C - Cette surprise était capitale dans la mesure où la narration se fait par la voix de Mina. C’est SA surprise à elle, qu’il fallait transmettre. Cela me permettait de créer un bouleversement chez le lecteur, de lui couper le souffle. Provoquer des émotions fortes, c’est un des intérêts de l’écriture romanesque.
Photo : Delphine Jouhandeau
Valérie Tong Cuong est l'auteure de L'atelier des miracles en grand format chez Lattès, La Battle, (Editions du moteur), et Providence, Big, Où je suis, Gabriel, Ferdinand et les iconoclastes (J'ai lu), Noir dehors (Livre de poche)