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Rencontres

  • Gaëlle Josse : "La fragilité de ces moments où l'essentiel se noue"

    huis clos, russie, clichés, hasard, ellis islandFais-moi les poches avait déjà rencontré Gaëlle Josse pour Nos vies désaccordées, métaphore musicale sur les sentiments humains. Voilà qu'on la retrouve avec Noces de Neige, un huis-clos entre deux époques à bord d'un train pas comme les autres. L'occasion pour cette auteure généreuse de nous en dire plus sur l'écriture et ce qui la déclenche, les thèmes récurrents -conscients ou inconscients-, et les personnages qui prennent vie sur le papier.

    Fais-moi les poches : Gaëlle Josse, pourquoi ce lieu flottant qu'est le train comme trame de votre roman, et pourquoi celui-là précisément ?

    Gaëlle Josse : -Vous savez, ce n'est pas un choix conscient, délibéré au départ ! Lorsque j'ai découvert, à travers un reportage télévisé, la réouverture de cette ligne Moscou-Nice, en cinquante heure de voyage, deux nuits à bords, six ou sept pays traversés, partant sous la neige et arrivant sous les palmiers, ça m'a aussitôt fascinée, mais sans aucune arrière-pensée d'écriture.

    J'ai eu l'occasion d'aller à Nice quelques semaines plus tard (un signe ?) et je suis allée voir ce train au départ. Imaginez la chaleur niçoise, la découverte sur les panneaux de l'affichage Moscou à côté de Hyères, Aix, Marseille ou St Paul de Vence, les caractères cyrilliques sur le train, le personnel de bord en uniforme devant les wagons, les passagers qui s'interpellent en russe le long des quais... La nuit vient de tomber, et soudain ce train disparaît. Dans deux jours, il sera à Moscou....Qui prend ce train, pourquoi, que peut-il se passer pendant un tel voyage, tant de lenteur, d'arrêts, de paysages traversés, de pensées qui défilent, de vies qui se croisent....Parallèlement, j'ai redécouvert toute la liaison passionnée de l'aristocratie russe, jusqu'à la révolution d'octobre, avec la Côte d'Azur. L'idée ce de double voyage, hier et aujourd'hui, sur ce même parcours s'est installée aussitôt.

    Il est vrai qu'un tel huis-clos, unité de temps, de lieu, d'action comme toute tragédie qui se respecte ( !), est propice à l'exacerbation des sentiments, à la cristallisation des évènements, les personnages vont s'y révéler dans toute leur vérité, c'est ça qui m'intéresse avant tout. Les deux personnages principaux sont apparus très vite, ces deux jeunes femmes à la poursuite de leur destin, du sens de leur vie, qui font faire des choix déterminants, heureux ou tragiques, au cours de ce voyage. Et j'ai aimé détourner les clichés : les jeunes princesses ne sont pas forcément belles, et les jeunes russes qui arrivent à Nice ne sont pas toutes des prostituées...Et bien sûr, quel lien entre ces deux histoires, qui ne sont pas racontées par hasard ? Là aussi, la quête du sens d'une vie. Comme pour chacun de nous...

    FMLP- Sans révéler d'éléments essentiels sur votre roman, on peut dire que le hasard y joue un rôle important. C'était déjà le cas dans Nos vies désaccordées, où on retrouvait aussi les thèmes de la rencontre et de la fuite, ne tenant finalement qu'à un fil. Est-ce que ce sont des problématiques dont vous aviez conscience en prenant la plume ou se révèlent-elles ensuite, en constatant les points communs ?

    G. J - Le rôle du hasard dans nos parcours de vie, le geste ou la décision -ou leur absence- qui change tout, ces moments de bascule dont on ne prend conscience que bien plus tard, lorsqu'on relit sa vie...Oui, c'est quelque chose qui m'intéresse, et plus largement je dirais que c'est le sens de nos actes, de nos choix, de nos relations à l'autre. Ce qui dessine, détermine notre place dans le monde, finalement. La rencontre, on ne la choisit pas, mais on peut choisir quelle suite on veut lui donner, ce peut-être la fuite, salutaire ou source de remords, de culpabilité. Quelle est notre vraie, notre juste place dans ce monde ? Quelle est notre petite musique personnelle ? Comment nos actes nous en approchent ou nous en éloignent ? Vous avez raison, c'est quelque chose de présent dans mes livres, la fragilité de ces moments ou l'essentiel se noue, et aussi le regard porté sur autrui. Amour, hostilité ou indifférence, nous nous construisons aussi par ce regard, par l'amour donné ou refusé. J'avoue que je n'en ai pas conscience en écrivant, ce n'est qu'a postériori que je réalise combien je tourne autour de quelques obsessions, questionnements, et le plus souvent ce sont les lecteurs qui établissent ces rapprochements !

    FMLP - Votre dernier roman, Le dernier gardien d'Ellis Island, vient de sortir en grand format aux éditions Notabilia. Y retrouve-t-on ces thèmes qui vous sont chers ?

    G. J - Je crois bien que oui, à la lumière de votre question précédente ! C'est le récit d'une vie, par un homme, que j'ai imaginé être le « dernier gardien » de ce centre installé dans la baie de New York, qui a été le passage obligé d'une douzaine de millions d'immigrants venus d'Europe. Choc des cultures, déracinement, abandon d'une langue, d'un passé, pour que s'ouvre la Porte d'Or sur tous leurs espoirs... Et séisme amoureux, qui le conduira à toutes les transgressions... Là aussi c'est vrai, l'instant de la rencontre, de la collision devrai-je dire, les choix, les conséquences, les remords, les interdits... Un homme remonte le cours de sa vie, cherche à saisir le sens jusqu'à vertige.

    Je m'aperçois que ce sont les personnages qui m'intéressent avant tout, bien au-delà d'une histoire. J'aime les accompagner dans leur cheminement intérieur, leurs incertitudes, leurs errances, leurs éblouissements, et tenter de saisir leur moment de vérité avec eux-mêmes. C'est l'art du portrait en fin du compte qui me fascine le plus, faire surgir les reliefs, les ombres et les lumières de nos vies, les demi-teintes, approcher le mystère d'un être...Qu'est-ce qu'une vie en définitive ? Tant, et si peu de choses...

    FMLP - Peut-on dire que votre rythme d'écriture s'est accéléré ces dernières années ?

    G. J - Accéléré, je ne sais pas, j'ai l'impression d'écrire à mon rythme, lorsqu'une histoire vient s'imposer avec une force telle que je dois l'écrire. Il est vrai que cela fait quatre livres en quatre ans, mais je ne me suis jamais dit « il faudrait que je trouve une nouvelle idée » ! A chaque fois, c'est un moment particulier, un évènement, minuscule souvent, qui déclenche les choses en ouvrant des portes dans mon imaginaire. Il faut être percuté de façon personnelle, intime pour écrire, pour réaliser ce tissage entre une histoire, des personnages et un inconscient à l'œuvre qui va faire émerger l'essentiel. Sinon on fabrique juste un bouquin ! Et j'ai la belle surprise de voir les lecteurs au rendez-vous, c'est aussi un chemin qui se tisse avec eux, d'un livre à l'autre.

    FMLP - Une idée de roman germe-t-elle dans votre tête en ce moment ?

    G. J - Oui, je l'avoue ! Vous savez, entre le moment où l'on met le point final à un manuscrit et le moment où il sort en librairie, il se passe de longs mois. Un temps de jachère, de repos, de vide nécessaire, et puis au moment le plus inattendu, un sujet qui vient vous questionner, vous embarquer, et ne vous lâche plus. Alors on y va...

     Photo : Xavier Remongin

     

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  • Olivier Truc : "Le polar, un prolongement naturel du journalisme"

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    Et voilà que le polar scandinave est annexé par un Français. Olivier Truc, installé à Stockholm depuis une vingtaine d'années, est d'abord journaliste. Correspondant en Scandinavie pour Le Monde et Le point, il connaît très bien les sujets de société propres à cette région. Il a décidé d'en faire un polar, Le dernier Lapon, un concentré de plusieurs facettes d'une société souvent montrée en modèle. Et il nous emmène bien évidemment au-delà des évidences.

     

    Fais-moi les poches - Olivier Truc, vous êtes journaliste et auteur. Vous avez souvent écrit pour la presse sur les Sami. Utiliser ce thème dans la toile de fond de votre roman, c'est aussi un moyen de communiquer sur la situation des Lapons, un sujet peu connu ?

    Olivier Truc - J’en avais l’envie depuis longtemps car je considère que la situation des Sami est trop mal connue, même dans les pays nordiques. Dans mes articles, j’ai souvent raconté le modèle scandinave, mais ce modèle, bien sûr, a ses faces cachées, moins reluisantes, et la situation des Sami illustre parfaitement la double morale qui peut sévir dans ces pays. J’ai cherché à incarner les thématiques que je voulais mettre en avant à travers des personnages afin de les rendre accessibles au plus grand nombre.

    FMLP - Le polar est-il selon vous un genre qui se prête davantage (que la presse, le livre documentaire ou le roman par exemple) à l'exposition de situations géopolitiques complexes ?

    O. T - D’abord, je dirais que le polar est un genre qui est un prolongement très naturel du journalisme, car il partage avec lui l’aspect investigation. Une démarche parallèle, avec, également en commun, un rôle de critique sociale. Ensuite, il est vrai que l’aspect roman permet de se libérer des contraintes des faits pour prendre certaines libertés avec la vérité pour la rendre plus intelligible, plus accessible, sans pour autant trahir l’esprit des situations complexes. L’important est je crois l’impression générale que le lecteur conserve en ayant refermé le livre.

    FMLP- Votre roman a-t-il été traduit en Suède ou dans un pays scandinave ?

    O.T - Le dernier Lapon est déjà sorti en Finlande et en Norvège, et il sortira bientôt au Danemark et en Suède.

    FMLP - En ce moment, écrivez-vous un nouveau roman ? O. T - J’ai fini en mars 2014 la suite du dernier Lapon. Le livre sortira en septembre 2014 toujours chez Métailié. J’ai attaqué le troisième tome, j’en suis aux prémices, à l’investigation, aux rencontres, aux voyages, toute cette partie du travail que j’adore.

    FMLP - Le dernier Lapon en film, c'est prévu ?

    O.T - Un producteur suédois a acheté une option sur le dernier Lapon et travaille sur le projet depuis un certain temps. Je garde la tête froide, beaucoup d’options ne se transforment jamais en films.

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  • Jean-Philippe Blondel : "Je voulais écrire sur la promiscuité obligatoire"

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    Jean-Philippe Blondel se ferait-il une spécialité des "road trip" ? Dans son précédent roman, un personnage très nettement autobiographique parcourait les routes des Etats-Unis pour fuir une tragédie. Dans 06 h 41, les pensées des personnages vont vite, très vite, à la vitesse du TER dans lequel ils sont embarqués, dans le matin blême. Un huis-clos absolument réussi et jubilatoire. Jean-Philippe revient ici sur son écriture.

     

    Fais-moi les poches - Une idée de roman pareille, avec une unité de lieu très resserrée, ça vient comment ?

    Jean-Philippe Blondel - Ca vient surtout quand on prend le TER régulièrement et qu'on laisse ses pensées vagabonder. Cet espace clos avec déplacement géographique est propice à la rêverie et au bilan -cela faisait très longtemps que je voulais écrire sur un voyage en train - et sur la promiscuité obligatoire.

    FMLP- Les envolées pensives de vos personnages vous permettent des moments d'écriture qui semblent assez jubilatoires (en tous cas, ils le sont à la lecture !). Le personnage de Philippe exprime quelques pensées peu politiquement correctes sur la génération de ses parents, par exemple. C'est cynique, et drôle à la fois. Vous n'allez pas me dire que derrière les pensées de Philippe et de Cécile ne se cachent pas un peu les vôtres ?

    J.P. B - Jubilatoire, c'est le mot - le roman a été un bonheur d'écriture, tout était très fluide.. Maintenant, je me suis mis dans la peau des deux personnages, et j'ai tenté de voir comment ils pouvaient percevoir le monde, donc toutes leurs pensées ne sont pas les miennes (heureusement !), d'autant que je n'ai aucune expérience concernant les parents vieillissants... (Lire à ce sujet la chronique sur Et rester vivant, paru en 2013 en poche, et l'entretien avec Jean-Philippe Blondel)

    FMLP - Est-ce vrai que vous avez laissé un exemplaire de 06 h 41 dans le train Troyes-Paris de 06 h 41 qui est le cadre du roman ?

    J.P. B - Oui, bien sûr - je trouvais la mise en abyme très amusante... Je ne sais pas qui l'a trouvé...

    FMLP - En ce moment, vous écrivez ?

    J.P. B - De toute façon, j'écris tous les jours. En janvier 2015 paraitra chez Buchet-Chastel un roman intitulé Un hiver à Paris qui m'a arraché les tripes - et là, je travaille sur ce qui viendra ensuite, mais je garde le secret pour le moment car je ne sais pas exactement où je vais...

     

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  • Valérie Tong Cuong : "Mes personnages m'habitent et ne me lâchent plus"

    10148156_10152290139082103_479820161_o.jpgAvec L'atelier des miracles, Valérie Tong Cuong signe un roman de rencontres et de ruptures. Avec sa disponibilité légendaire, elle a accepté de répondre une nouvelle fois aux questions de Fais-moi les poches ! sur ses personnages et les équilibres délicats à préserver pour en faire des êtres crédibles.

    Fais-moi les poches - Vous écrivez un roman frais et enthousiaste, sans tomber dans les bons sentiments et les happy end faciles. Cela ne doit pas être un équilibre évident à trouver. Comment avez-vous fait ?

    Valérie Tong Cuong - J’essaie de porter un regard réaliste sur la vie. Tout n’est pas rose, mais il existe presque toujours une issue et c’est ce qui m’intéresse : la manière dont on avance, les chemins à parcourir, les ressources de chacun, sans nier ou minimiser les obstacles, les coups ou les difficultés à gérer.

    FMLP - Aucun de vos personnages n'a qu'une seule facette, ce qui en fait des personnages hautement crédibles ! Vous avez une recette pour leur donner naissance, vous leur attribuez des "cartes d'identité", comment faites-vous ?

    V.T.C - Là encore, ils sont réalistes. Personne n’est monolithique. Nous avons tous nos mauvais et nos bons côtés, qui s’expriment dans différents contextes ou à différents moments de notre vie. Ce qui compte, c’est notre manière de les faire évoluer. Pour ce qui concerne mes personnages, ils surgissent en moi sans prévenir, puis m’habitent et ne me lâchent plus ! Mais il est évident que mon inconscient a travaillé… Parfois, il arrive que je m’accorde un peu de temps spécifiquement avec l’un ou l’autre, nous entamons une sorte de dialogue muet, qui me permet de mieux les connaître.

    FMLP - L'ardoise magique, votre précédent roman, posait déjà l'abandon et l'entraide un peu inespérée en personnages principaux. Le thème de l'exclusion est important pour vous ?

    V.T.C - Disons plutôt, une certaine forme de solitude qui peut être tout à fait invisible. Beaucoup d’entre nous (peut-être tous) ont traversé des périodes durant lesquelles ils avaient le sentiment d’être « satellisés », d’échouer à faire comprendre ce qu’ils ressentaient. On renonce à tenter d’expliquer à l’autre, on ne trouve même pas les mots pour soi-même... souvent la faute en revient aux blessures non soignées qui saignent à nouveau à l’occasion d’un événement, d’un incident déclencheur.

    FMLP - Qu'écrivez-vous en ce moment ?

    V.T.C - Je travaille sur un nouveau roman, mais j’ai pour habitude de ne rien dire jusqu’à la sortie. C’est une manière de profiter d’une certaine intimité avec mes personnages.

    Retrouvez également sur la chronique sur L'ardoise magique et un entretien avec Valérie Tong Cuong au sujet de ce précédent roman, où elle évoque la puissance de l'inconscient.

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  • Cécile Coulon : "Travailler les phrases, le style, la patte"

    1964287_10152232447282342_618894390_n.jpgIl y a moins d'un an, Cécile Coulon répondait aux questions de Fais-moi les poches sur son roman Méfiez-vous des enfants sages. Le rire du grand blessé (Viviane Hamy) a compté parmi les sorties marquantes de la rentrée littéraire. Et voilà que Le roi n'a pas sommeil, à peine sorti en poche, est sélectionné pour le prix du meilleur roman des lecteurs des éditions Points. Un style qui lui est propre, âpre et réaliste, des ambiances singulières, voici quelques caractéristiques de l'écriture de Cécile Coulon. Elle nous révèle quelques-uns de ses "coins à champignons"...

    Fais-moi les poches - C'était déjà le cas dans Méfiez-vous des enfants sages, et on le retrouve dans Le roi n'a pas sommeil, vous créez des ambiances singulières. Quel est votre secret pour créer ce style, cette "patte", Cécile Coulon ?

    Cécile Coulon - Il paraît que ça ne se fait pas de révéler ses coins à champignons... Bon, disons qu'en fait, je visualise le texte, je construis les scènes comme s'il s'agissait d'un scénario, ou même d'un storyboard. De cette façon, j'ai une idée plus claire de l'ambiance du texte, ça me permet de travailler les phrases, le style, la "patte".

    FMLP - La sélection de Le roi n'a pas sommeil pour le prix du meilleur roman des lecteurs des éditions Points, c'est une surprise ? Savez-vous comment s'est faite cette sélection ?

    C. C - Oui, c'est une surprise, une bonne surprise. Et non je n'ai aucune idée de comment est faite cette sélection. Je sais en revanche qu'au final, ce sont des lecteurs et des libraires qui choisissent, non ?

    FMLP - Quand on est beaucoup sollicitée comme vous l'êtes par les médias, ce n'est pas trop difficile de continuer à écrire ?

    C. C - Je suis beaucoup sollicitée, mais pas sur une très longue période, c'est surtout au moment de la sortie de tel ou tel texte... Le reste du temps, je peux me consacrer à ce qui me plaît, sans avoir l'esprit ailleurs. Et quand on aime faire quelque chose, on trouve toujours le temps.

    FMLP - Quel genre d'ambiance nous réservez-vous pour le prochain roman ?

    C. C - Un texte plus long, avec plus de personnages, mais toujours le même style. Ce sera une histoire de revanche.

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  • Léonor de Récondo : "Ecrire pour aller sur les chemins obscurs"

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    Difficile d'observer la vitrine d'une librairie, depuis quelques semaines, sans remarquer Pietra Viva, le dernier roman de Léonor de Récondo, en bonne place dans les coups de coeur. En parallèle sort en format poche chez Points Rêves oubliés, un roman dont les personnages s'adaptent à l'exil forcé, en perdant sur le chemin un certain nombre de repères, rançon de la liberté et de l'unité de la famille. Léonor de Récondo a eu l'extrême gentillesse de répondre aux questions de Fais-moi les poches ! sur ce roman et l'écriture en général.

    Fais-moi les poches ! -Léonor de Récondo, vous écrivez depuis plusieurs années ?

    Léonor de RécondoJ'écris depuis toujours ! Au début pour moi et puis un jour je me suis lancée. Le plus dur c'est d'y aller...

    FMLP - Un excellent bouche à oreille pour Pietra Viva, une sélection pour le prix des lecteurs des éditions Points avec Rêves oubliés, on peut dire que depuis quelques mois, votre nom revient de plus en plus souvent sur la scène littéraire. Quels sont d'après vous les ingrédients qui ont permis d'accélérer votre "rencontre" avec votre lectorat ?

    LdRLa vérité, c'est que je ne me rends pas très bien compte de ce qui se passe à mon sujet sur la scène littéraire... Je vois bien que j'ai été plus sollicitée (presse, librairies, etc.), mais ça ne va pas plus loin. Je suis heureuse aussi de pouvoir être lue et appréciée. Alors, je me dis que tout ce travail, tous ces doutes ne sont pas vains... J'écris pour être libre, pour aller sur des chemins obscurs que je tente d'éclairer. Le reste est le travail de mon éditrice, Sabine Wespieser, très talentueuse !

    FMLP -Rêves oubliés, c'est le destin d'Ama, c'est aussi l'Histoire universelle de l'exil. Pourquoi avez-vous eu envie d'écrire sur ce sujet ?

    LdRAma, c'est ma grand-mère espagnole que je n'ai pas connue. Écrire sur elle et ma famille, écrire un roman, m'a permis de les connaître, de les aimer aussi.

    FMLP- C'est un roman qui pourrait appeler une suite, non ?

    LdRCe roman n'a pas de suite dans ma tête, même si tous les personnages de fiction continuent d'avoir une vie après les pages, une vie secrète à l'abri des regards.

    FMLP -Qui sont vos références en littérature ? 

    LdRJ'adore lire, je n'ai pas de références littéraires à proprement parler. Si je dois citer un nom et un seul : Virginia Woolf.

     

     

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  • Valentine Goby : "J'ai besoin du terrain, de la matière..."

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    Alors qu'elle fait la tournée des librairies pour rencontrer les lecteurs de Kinderzimmer, son dernier roman au succès retentissant, Valentine Goby a accepté de répondre aux questions de Fais-moi les poches sur Banquises, son précédent opus. Elle revient sur l'immersion nécessaire à l'écriture de ce roman, sur les métaphores qu'il emprunte. Merci à elle pour sa disponibilité incroyable et la force de ses réponses !

    Fais-moi les poches ! On peut lire en exergue de Banquises que vous avez bénéficié d'une mission au Groenland pour la préparation de ce roman...

    Valentine Goby - Oui, je n'écris pas une œuvre de création pure. Jamais. J'ai besoin du terrain, de la matière, de l'Histoire, de la Géographie. Je voulais partir vérifier une hypothèse : il est aussi violent pour une famille de perdre un de ses membres essentiels que pour une communauté de perdre un élément central de son territoire : la banquise. Et que la perte force les identités à se redéfinir profondément, singulières et collectives. Ce voyage coûtait très cher. C'est pauvre, la banquise, mais c'est d'un accès difficile. Plusieurs avions de plus en plus petits, jusqu'à l'hélicoptère. Et puis il faut un équipement spécifique, puisque je voulais partir chasser sur la glace. J'ai fait une demande de bourse de recherche, sans laquelle je n'aurais jamais pu faire le voyage.

    FMLP - Aviez-vous envisagé ce scénario de roman uniquement dans ce décor ? 

    V. G - J'ai d'abord travaillé sur la famille. Ce qu'est une famille. Une entité singulière, composée d'individus qui eux-mêmes revendiquent une singularité, et forment ensemble une entité encore différente de l'addition des personnalités. Pour le sentiment de la perte, le poids de l'absence, je voulais un territoire symbolique. J'ai vu des images du Cop 15, sommet de Copenhague qui a été un échec retentissant pour la coopération internationale. Et soudain ces images de glace qui fond m'ont touchée. Non pas comme un phénomène lointain, extérieur, pour lequel j'aurais éprouvé une forme de compassion, mais comme une perte intime. J'ai eu envie que la petite et la grande échelle se répondent. Car ces banquises, ce sont des territoires si visibles, quand ils s'effacent. Comme les gens, dont l'empreinte, le contour est parfois plus vaste que la présence physique : ils prennent alors tout l'espace.

    FMLP - Pourquoi ces lieux vous attiraient-ils ? 

    V. GPour leur valeur symbolique, métaphorique. La banquise s'efface inexorablement. La banquise est aussi un lieu dans lequel le face-à-face avec soi-même est irrémédiable, et constant. C'est très impressionnant, je l'ai vécu comme un bouleversement salutaire et terrifiant. Nul dérivatif, nulle digression dans le paysage, peu d'ombre : on ne peut pas se mentir, sur la banquise. Mon personnage ne pouvait pas se mentir. Et puis c'est un lieu aux spécificités acoustiques étonnantes. Et Sarah, cette jeune femme qui s'en va au Groenland, est acousticienne. La banquise, c'est une surface de réverbération maximale, mais nul obstacle ne renvoie le son : il s'enfuit donc, à une vitesse fulgurante, et meurt de n'être renvoyé par rien. Belle métaphore, aussi, de la perte. Sarah, sur la banquise, vient chercher le silence.

    FMLP - Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez travaillé sur place ?

    V. GUne bourse de recherche Stendhal m'a permis de partir, et de vivre avec des groenlandais du village d'Uummannaq, chasseurs-pêcheurs, 1000 environ, et 5000 chiens pendant près de 6 semaines. C'est beaucoup d'attente. Beaucoup de silence. Beaucoup d'observation. J'ai regardé, écouté, sans comprendre car je ne parlais pas la langue. Je me suis laissée emmenée, guider. Le temps était complètement étiré. Il n'y avait plus de nuit. Il n'y a pas grand chose à raconter de plus que ce qui est dans le livre. J'étais sur une île entourée de banquise, puis d'eau, complètement isolée. J'ai marché, pris des photos de la fonte des glaces, je suis partie sur la glace avec les chiens, j'ai vu les chiens inutiles, ils ont été tués. Tout cela, je l'ai vu. Et puis je l'ai écrit.

    FMLP - La fin d'une époque pour les habitants du Groenland transparaît beaucoup dans vos lignes. Est-ce à mettre en relation avec le fin des illusions de Lisa, votre personnage ? 

    V.GJe ne crois pas que Lisa ait la moindre illusion. Elle ne part pas pour retrouver sa sœur, ou alors c'est son empreinte qu'elle cherche, celle du dernier voyage. Lisa a dû imaginer sa sœur morte pour continuer à vivre, elle qui était toute adolescente quand Sarah a disparu. Ce voyage est une façon de dire au-revoir à Sarah, de se réconcilier avec soi-même, de suturer les bords du temps.

    FMLP - Votre dernier roman, Kinderzimmer, en est à sa 7ème réimpression ! Ce succès vous laisse-t-il encore le temps d'écrire ?

    V. GNon. Mais ce n'est pas seulement le succès, c'est que j'ai dit oui à 70 librairies, à qui je dois bien cela, elles qui soutiennent le livre magnifiquement. Et puis c'est un livre qu'on porte, vraiment, on ne se défait pas de l'avoir écrit par décret. J'ai besoin de temps avec lui. J'écris pour la jeunesse. Je prépare mes cours pour Sciences-Po, une conférence sur Charlotte Delbo. Mais je n'écris pas encore un autre roman, je n'en ai même pas l'idée...

    © Crédit photo : Fanny Dion

    Valentine Goby a aussi écrit Kinderzimmer (Actes Sud) et en format poche : L'échappée, Qui touche à mon corps je le tue, Des corps en silence, La note sensible, Petite éloge des grandes villes (Folio). Elle écrit aussi pour la jeunesse.
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