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musique

  • L'effroi, François Garde

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    Il nous est tous arrivé de rester pantois devant une attitude inattendue, tellement improbable que l'on peut douter un instant de son existence. Pour Sébastien Armant, altiste dans un orchestre, la réaction sera rapide. Lorsque Louis Craon, le chef d'orchestre qui le dirige ce soir-là à l'opéra Garnier, lève le bras dans un salut hitlérien glaçant, le musicien se lève, tourne le dos et quitte la scène. Sous l'oeil des caméras de télévision, le geste inexpliqué du chef et la réaction spontanée de l'altiste vont faire le tour du monde. L'univers des médias, internet, la télévision, tout le monde s'emballe pour cet événement hors-du-commun. Un grand buzz sur fond de peste brune va voir le jour, rendant Sébastien Amant simple spectateur de son acte.

    Tout est passionnant dans ce roman de François Garde, dans sa façon d'analyser les gestes et les réactions. Stupeur devant le geste nazi, mais aussi fascination de la part de nostalgiques du 3ème reich menaçants. Solidarité pour la réaction de Sébastien Armant, mais aussi suspicion, agacement, lassitude, empathie sensible au temps qui passe. Une définition précise, en somme, du mot "effroi", à travers un roman qui hante.

    L'Effroi, François Garde (France). Gallimard. 302 pages

    Catégories : Littérature Française 0 commentaire
  • Les gens dans l'enveloppe, Isabelle Monnin avec Alex Beaupain

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    C'est plus qu'un roman. D'abord la re-création d'une réalité à partir de photos de familles datant des années 70, achetées par lot sur internet par Isabelle Monnin, au gré du hasard. Une histoire qui se tricote à partir des regards sur les photos, de la couleur du papier peint, des absents, des récurrences. C'est ensuite une enquête, menée après l'écriture de la première partie, pour découvrir la véritable identité des "gens dans l'enveloppe". Une enquête, qui, à la grande surprise d'Isabelle Monnin elle-même, se révèle fructueuse très rapidement. Ses personnages de papier prennent une véritable identité. Elle les rencontre et confronte son histoire la réalité de cette famille. Les coïncidences sont parfois troublantes, les intuitions assez bien senties. Et la situation s'avère particulière, puisque l'enquête d'Isabelle Monnin la plonge dans l'intimité d'une famille qui lui est complètement inconnue. Une famille qui, à aucun moment, ne songe à lui fermer la porte. Ce sont enfin ces photos, présentes au centre de l'objet-livre, mystérieuses et familières.

    Et puis Alex Beaupain, compositeur-interprète de grand talent et ami de l'auteure, a parachevé le projet par un album musical (téléchargeable gratuitement à l'achat du livre), inspiré du texte fictif, comme de la véritable histoire de la famille. Sur cet album, les véritables protagonistes prennent le micro, racontant à leur tour l'histoire de Laurence, Michelle, Mémé Poulet.

    C'est donc un objet étonnant que ces Gens dans l'enveloppe, fusée à plusieurs étages. Roman, enquête, confessions autobiographiques aussi, oeuvre musicale. Une ambiance des années 70, des tricots rayés, des vacances au camping, des aspirations féminines, du monde qui change. Au delà d'un projet surprenant, un livre d'une grande qualité, plein d'émotion.

    Les Gens dans l'enveloppe, Isabelle Monnin avec Alex Beaupain (France). Le livre de poche. 8, 90 €

    Catégories : Littérature Française, Musique 0 commentaire
  • Vernon Subutex, Virginie Despentes

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    Vernon appartient au monde d'avant. Celui des disquaires et de la photo argentique. Un monde où les gens s'adossaient à son comptoir et passaient des heures à choisir la musique qu'ils allaient écouter, en manipulant les disques comme des objets précieux. Evidemment, Vernon n'a plus de boutique, pas plus que de clients. D'ailleurs il ne va pas tarder non plus à ne pas avoir d'appartement. Lui restera son compte Facebook qu'il ira consulter en traînant dans les Apple Store. Pour garder le contact avec ses amis ou anciennes connaissances, susceptibles de lui déplier un bout de canapé si le contact se noue. La mort d'Alex, star connue du rock, avec qui il jouait avant, va précipiter les événements. On lui court après. Les anciens amis communs se remémorent le beau gosse, le chanteur doué et séduisant, adulé ou détesté, toxico jusqu'à la moëlle, mort, comme tout rocker qui se respecte, dans la baignoire d'un hôtel.

    Ici les ex-stars du porno sont en prise avec des enfants en voie de radicalisation, les scénaristes réac doivent faire face à la mort de leur chienne, les mères inconsolables scrutent les pupilles des enfants, les trans sont les plus séduisantes des femmes, les vendeurs d'H et M le jour se transforment en brutes fascistes la nuit. Et Vernon, lui, n'a plus rien, mais a conservé l'essentiel : le bon vieux rock qui le fait tenir est là, sur son ipod. Comme une dernière passerelle entre le monde d'avant et celui d'aujourd'hui.

    Cinglant, drôle, trash, préoccupant, rythmé, mystérieux, ce premier tome de Vernon Subutex attire irrésistiblement vers le deuxième.

    Vernon Subutex, Virginie Despentes (France). Le livre de poche. 432 pages. 7, 90 €

    Catégories : Littérature Française 0 commentaire
  • Nos vie désaccordées, Gaëlle Josse

    41-kL6it5RL._SL500_.jpgLa recherche de l'accord parfait : pour le musicien, ce sera entre les notes. Pour le commun des mortels, ce sera entre les choix qui s'imposent à lui au cours de son existence. Il est question de ces deux recherches dans ce roman de Gaëlle Josse.

    Dans une boutique d'instruments, un pianiste de renom s'éprend de Sophie, une femme frêle, fragile, radieuse. Mais c'est beaucoup plus tard que débute le roman. Quand il l'a déjà perdue de vue, qu'il a tourné la page pour vivre avec Cristina.

    Entre temps, le couple provisoire aura vécu un drame intime. Pour échapper au poids de la douleur, il aura fui, à sa façon, d'un bout à l'autre du monde pour donner des concerts. Elle sera partie aussi, direction la folie, le lâcher-prise. Et puis l'internement, la séparation de fait, la vie qui semble continuer pour lui.

    Jusqu'au jour où, au hasard d'un courrier d'un admirateur mélomane, il entend parler d'une jeune femme qui écoute sa musique à longueur de journée. Cet admirateur est infirmier psychiatrique, la jeune femme en question est une de ses patientes. Le pianiste va-t-il retrouver le chemin qui le mène à Sophie ?

    L'écriture de Gaëlle Josse est délicate, mesurée, un peu mystérieuse. Comme le sont les réactions de ses personnages. Un roman harmonieux, car en littérature, comme en musique, ce sont les silences qui parlent parfois le mieux.

    Nos vie désaccordées, Gaëlle Josse (France). J'ai lu. 122 pages. 6, 50 €.

    Catégories : Livre 2 commentaires
  • Gaëlle Josse : "Je ne juge pas mes personnages"

    1 ©XavierRemongin_gaelle031.jpg©XavierRemongin (3).jpgGaëlle Josse nous confie ses personnages, ou plutôt elle les dépose délicatement sous nos yeux. Pour qu'on les observe, qu'ils nous interpellent, mais pas pour qu'on les juge. Elle-même ne le fait pas, et se laisse émouvoir par ces êtres de papier, fragiles et mystérieux. Elle nous l'explique ici.

    Fais-moi les poches - La musique peut-elle être pour vous une métaphore de la vie, comme peut le laisser entendre notamment le titre du roman ?

    Gaëlle Josse - Votre suggestion est très juste, même si, en écrivant, je n'avais aucune intention de cette sorte, c'est une fois le livre refermé que l'on peut le comprendre, -l'entendre !- ainsi. Il est vrai que la vie se prête à d'innombrables métaphores, images, comparaisons, et celles liées à la musique en donnent une lecture très parlante. On compose ou on joue sa partition, on tient sa partie, on cherche l'harmonie, la note juste, en tentant d'éviter trop de dissonances, de fausses notes, -de couacs !-, comme l'expriment de nombreuses expressions courantes. On pourrait aussi dire que le cours de nos vies s'écrit dans les tonalités et des modes variés, avec des tempos, des nuances, des intensités diverses, et bien sûr, entre accords et désaccords, et que le duo formé par un couple repose sur la complémentarité, sans forcément rechercher toujours l'unisson... Pour autant, ce qu'il m'intéressait d'explorer avant tout, ce sont ces questions taraudantes de la réparation, du remords, de la blessure infligée à l'autre, du regard aveuglé que l'on peut porter sur sa propre vie. Que faire lorsqu'on réalise que l'on est passé à côté de l'essentiel ? Jusqu'à quel point savons-nous aimer ? Que sommes-nous prêts à sacrifier à l'autre ? Ce sont les "grandes questions" qui sous-tendent nos existences, qui se traduisent non par des décisions solennelles, mais par une succession de choix, d'actes, de comportements, parfois anodins, et qui, en fin de compte, dessinent le visage, ou écrivent la musique de nos vies...

    FMLP - Que pensez-vous de vos deux personnages principaux ? Que vous inspirent-ils dans leurs façons d'être, leurs réactions ? Je pense notamment à François : est-il lâche ou trop pris dans sa passion du piano ?

    G. J - Je m'aperçois, avec cette question, que je ne juge pas mes personnages. François, le musicien brillant, si peu doué pour la vie, et Sophie, l'artiste rebelle, fragile, qui marche sur les lignes de faille. En y songeant, je m'aperçois que leurs façons d'être sont pour chacun le reflet, la traduction de leurs fragilités, plus ou moins surmontées, assumées. François a construit sa carrière pour obtenir enfin un regard d'amour posé sur lui, pour apaiser les grandes blessures de l'enfance. Sophie, elle, n'est pas dans cette attitude volontariste, je crois qu'elle vit au plus près de ses émotions, de ses fragilités, dans une totale sincérité, ce qui la rend très vulnérable. François, lâche ou "seulement" inconscient, négligent ? C'est là toute l'ambivalence, toute l'ambigüité du personnage. Le déroulement de sa carrière, dont il se sent un peu prisonnier, lui cache les réalités de la vie, les souffrances de Sophie, c'est une vie qui lui tend un miroir valorisant, mais qui l'isole des atres. Et il me semble que bien souvent nous ne faisons pas intentionnellement souffrir autrui, c'est davantage par inattention, par manque d'écoute que par volonté délibérée, et c'est peut-être pire... Je crois que c'est le cas de François, lâche, oui, et surtout inconscient.

    FMLP - François, en se rapprochant à nouveau de Sophie, ne la met-il pas en danger ?

    G.J - Si, c'est très vrai. Se rapprocher, dans une intention de "réparation", de quelqu'un qui a basculé, pour se libérer d'une immense culpabilité, est un geste à la fois sincère et dangereux. Peut-être Sophie a-t-elle trouvé, dans l'absence et le silence d'un lieu clos, protégé, une forme d'anesthésie à sa douleur, et revoir celui qui en est la cause rique de récativer des souffrances terribles, pires peut-être. D'où ce temps suspendu, où François va devoir apprendre l'attente, et c'est à ce moment-là qu'il va être confronté à lui-même, qu'il va remonter le cours de sa vie et tenter de comprendre son cheminement, ses choix, ses actes et ses manques. C'est à ce moment-là, dans le dépouillement de tout ce qu'il est, dans le renoncement à ce qu'il fait, qu'il va devenir lui-même en allant vers sa vérité intérieure. C'est dans cette dimension qu'il m'a émue lorsqu'il s'est peu à peu dessiné ainsi pendant l'écriture de ce livre.

    FMLP - Sophie rompt avec une réalité trop dure à supporter. On ressent en elle une souffrance prélable à cette histoire. Ce drame a-t-il été le rappel d'autres souffrances ?

    G.J - Oui, Sophie est un être blessé, il est fait allusion à ses souffrances antérieures, avec ses parents, son frère, à ses modes de vie autodestructeurs, à son errance, son nomadisme, et aussi à cette énergie qu'elle projette dans son art en peignant. Toutefois, je n'ai pas voulu entrer dans le détail de son passé, il est sans équivoque, je crois, mais abordé de façon elliptique, chacun peut l'imaginer à son idée. Je n'aime pas le mélo ni le pathos appuyé, il me semble que l'écocation a davantage de force, parce qu'elle propose quelque chose au lecteur, sans lui imposer... Le drame qu'elle a vécu avec François lui a porté le coup de grâce, en effet. Mais la fin du livre est une fin ouverte, tout est possible...

    FMLP - Comment vous est venue l'inspiration de ces deux personnages ?

    G.J - Plusieurs éléments se sont croisés, et ont ouvert des portes dans mon imaginaire. Ensuite, l'histoire s'est imposée, il me restait à l'accueillir au mieux. J'assistais un soir à un récital de piano donné par une de ces "stars" du clavier qui semblent tout avoir : la jeunesse, la beauté, l'élégance, la gloire, et cette apparente facilité à recréer devant nous une oeuvre en faisant oublier le travail de titan, de forçat, qui se cache derrière, avec une vie entre deux avions, deux hôtels, deux salles de soncert, Paris, Tokyo, Prague, New-York... Les spectateurs debout, les rappels, les bouquets de fleurs, et le costume même pas froissé ! Je me suis demandée ce qui pouvait se passer lorsque de telles vies -extra-ordinaires- viennent à se gripper, et si les vies privées de ces héros sont aussi flamboyantes que leur art, ou si comme chacun ils connaissent le doute, la souffrance, l'abandon... Pour Sophie, il s'agit de quelque chose de plus intime, de plus personnel, de très à vif pour moi. Je suis hantée par cette idée de l'absence, du silance, comme réponse, ou comme défense lorsque la vie devient trop difficile, trop contondante, qu'on ne sait plus y faire face, parce que nos capacités de souffrance sont épuisées. Le portrait de cette jeune femme, sans concessions, intense, fragile comme du verre, qui vit dans la seule vérité de ses émotions, s'est peu à peu précisé. Elle aussi, en me guidant dans les replis de son âme, m'a beaucoup émue lorsqu'elle avançait, si nue, si démunie, au fil des pages.

    Photo : Xavier Remongin

    Gaëlle Josse est également l'auteure de Noces de neige (Editions Autrement).

    Retrouvez Gaëlle Josse sur son blog : http://gaellejosse.kazeo.com/

    Catégories : Livre, Rencontres 0 commentaire