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Rencontres - Page 3

  • Jean-Philippe Blondel : des deuils, Lloyd Cole, ce roman, le soulagement

    lloyd cole,mail,laurent sagalovitsch,deuil,autobiographie,drame,distanceOn peut très bien lire Et rester vivant sans penser une seule seconde qu'il s'agisse d'un texte autobiographique. Certes, le narrateur parle à la première personne, mais difficile de prendre ce récit pour argent comptant. D'abord, parce que les coïncidences en termes de malheur paraissent beaucoup trop grandes pour êtres vraies. Ensuite, parce que le roman débute par un simple message d'un fan du chanteur Lloyd Cole sur son blog, et par un échange de mail avec un collègue écrivain (Laurent Sagalovitsch, à découvrir sur ce blog). Et pourtant, tout est vrai dans ce texte. Jean-Philippe Blondel a accepté de lever un peu le voile sur le mystère de ce roman, et de fait sur sa propre histoire. Merci à lui.

    Fais-moi les poches - La première question qu’on se pose en lisant Et rester vivant, c’est s’il s’agit d’un récit autobiographique. On le pressent, on se doute, mais... on se dit que tant de malheurs concentrés sur un seul jeune homme, c’est finalement peu vraisemblable. Votre réalité a-t-elle dépassé ce qu’on aurait pu juger à peine vraisemblable dans une fiction ?

    Jean-Philippe Blondel -Le matériau de Et rester vivant est hautement autobiographique -les faits sont exacts. Si j'ai voulu l'appeler "roman", c'est parce que j'ai choisi le point de départ et le point d'arrivée, ainsi que le point de vue - et que le temps passé depuis 1986 a pu me faire commettre des erreurs de détail... Mais oui, je suis très conscient du fait qu'un lecteur peut se dire d'emblée "non, ce n'est pas possible" - c'est d'ailleurs ainsi que je le ressentais à l'époque. J'avais l'impression d'être le héros d'un mauvais roman.

    FMLPEcrire un texte autobiographique, c’est se mettre à nu. Que ressent-on  le jour où le manuscrit part à l’imprimerie, où l’intime devient public ? Et le regard des autres, de vos proches, de vos lecteurs, a-t-il changé après ce livre ?

    J-P.B -En fait, mes proches, mes vrais proches, et même une bonne partie de la ville où j'habite, connaissent mon histroire, parce qu'elle a fait la une des journaux locaux à l'époque - c'était un drame parfait pour la presse. Depuis ce moment-là, je me suis habitué à être dévisagé -la plupart du temps avec bienveillance. Donc, je n'ai rien ressenti d'autre qu'un immense soulagement quand le manuscrit est parti à l'imprimerie.

    FMLP- Vous décrivez une démarche de début de deuil, de survie. Est-ce que 20 ans après, l’écriture de ce roman s’est inscrit dans cette démarche ?

    J-P.B -Non. Le deuil était déjà fait. Quand le deuil n'est pas fait, il est impossible d'écrire de cette façon-là, avec cette distance que je voulais retranscrire, parce que c'est ainsi que je sentais les choses à l'époque : tout se passait comme si mon esprit avait créé une vitre en Plexiglas qui empêchait les émotions de m'atteindre trop profondément. C'est cette distance-là qui a été difficile à retrouver.

    FMLP- Votre roman n’aurait pas existé sans un message laissé sur le blog du chanteur Lloyd Cole un soir d’ivresse, réellement ?

    J-P.B -J'ai écrit une douzaine de versions de ce roman. Quand j'ai laissé le message sur le site de Lloyd Cole, j'étais persuadé que ce roman ne verrait jamais le jour. En fait, c'est sans le mail de Laurent Sagalovitsch que cette version n'aurait pas vu le jour !

    Jean-Philippe Blondel est l'auteur de 06 h 41 (Buchet-Chastel), Un minuscule inventaire (Robert Laffont) et en format poche : G 229, Le baby-sitter, Accès direct à la plage (Pocket).

    Il écrit également pour la jeunesse : Blog, Au rebond, Brise-glace, (Re)play (Actes Sud junior)

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  • Cécile Coulon : "délocaliser" pour prendre du recul

    909126_10151549811202342_2122594438_n.jpgCécile Coulon peut intriguer. Elle est jeune et a déjà un métier d'écrivain bien rôdé à son palmarès. Mais bien plus que sa jeunesse, ou peut-être à cause d'elle, c'est son talent à créer des décors et des univers qui fascine. Dans Méfiez-vous des enfants sages, elle "délocalise" nos références en visant dans le mille. Rencontre.


    Fais-moi les poches -Pourquoi avoir choisi de situer votre roman aux USA ? Comment parvenez-vous à créer un décor américain aussi réaliste ?

    Cécile Coulon -J'ai choisi de situer mon roman aux USA parce qu'au moment de l'écriture, j'avais dix-huit ans, et je ne me sentais pas capable de parler de mon pays, de ma génération. J'ai délocalisé l'histoire pour prendre du recul, m'autoriser un fantasme construit autour de la littérature, du cinéma et de la musique. Ces trois vecteurs m'ont permis de créer un décor réaliste, capable d'accueillir une fiction.


    FMLP -Les adultes ne sont pas vraiment épargnés dans vos descriptions. Grandir est-ce nécessairement céder aux compromissions en tous genres ?

    C. C -Les adultes ne sont pas épargnés, mais les adolescents non plus. Je voulais simplement montrer que la joie autant que la douleur sont des choses simples, des émotions qui se présentent en permanence, et qu'il ne faut pas fuir, mais encaisser.


    FMLP -Eddy, Kristina, ce sont des personnages trash mais avec qui il se passe vraiment quelque chose, avec qui un véritable échange s’établit. Est-ce justement parce qu’il ont refusé de céder aux convenances, à l’embourgeoisement ?
    C. C -Je ne crois pas qu'on puisse parler de convenances ou d'embourgeoisement pour les autres personnages; simplement, Eddy et Kristina ont une place à part, un charisme, une force interne qui les fait ressortir, mais qui va aussi les brûler.

     

    FMLP -Pour quelles raisons doit-on « se méfier » de Lua, « l’enfant sage » ? Est-ce à cause de sa lucidité sur le monde qui l’entoure ?

    C. C - J'ai choisi ce titre car il décrit un certain paradoxe établi dans le roman : ceux qui ont l'air calme sont les plus lucides, donc les plus dangereux. A l'inverse, ceux qui "se donnent un genre" n'ont pas de vie intérieure propre.

     

    Cécile Coulon est également l'auteure de Le roi n'a pas sommeil (Viviane Hamy), Sauvages, Le voleur de vie (Revoir).

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  • Philippe Besson : Le son des mots et du silence

    230329_10151137513545950_212017152_n.jpgPhilippe Besson est l'auteur (entre autres) de Une bonne raison de se tuer, un roman à deux voix qui effleure la vanité du langage, en Californie comme ailleurs. Il répond avec une grande disponibilité aux questions de Fais-moi les poches ! sur ses personnages, la difficulté à communiquer, les conditions de l'écriture et ses influences littéraires.

    Fais-moi les poches : - Votre roman se situe aux USA. Aurait-il été transposable en France ou le décor que vous lui avez choisi était-il nécessairement celui-là ?

    Philippe BessonLe suicide est, par essence, une question universelle. L'histoire que je raconte aurait donc pu se passer presque partout. Et les femmes de 45 ans déclassées, rendues au célibat, jetées dans une forme de précarité ne sont pas l'apanage de l'Amérique. Pour autant, je tenais à ce décor car il m'est familier (je vis à Los Angeles quatre mois par an). Du reste, le Joey's Café où Laura est serveuse est le diner où je me rends tous les jours ou presque quand je suis à L.A. Enfin, j'avais envie d'évoquer l'élection d'Obama, le jour de son élection, l'électricité qu'il y avait dans l'air ce jour-là.

    FMLP - Comment expliquez-vous que la détresse de Laura aille jusqu’au désir de se suicider ? Que s’est-il cassé chez elle ?

    P. BLaura est dans une forme de résignation. Elle n'a plus rien à attendre, à espérer. Elle a été lâchée par son mari, ses enfants se sont éloignés, elle n'a pas vraiment de boulot, elle se sent inutile, elle ne sait plus où est sa place, si elle a encore une place. Alors elle préfère arrêter là. Pour moi, c'est quelqu'un qui range une pièce, éteint la lumière et ferme la porte. 

    FMLP - Ni Laura ni Samuel ne sont des êtres livrés à une solitude absolue. Qu’est-ce qui explique qu’ils le ressentent comme tel malgré tout ?

    P. BParce que L.A., par son gigantisme (15 millions d'habitants, 80 km de long) est une ville où on peut se sentir seul. Et puis, ils ont été, l'un et l'autre, délaissés, marginalisés. Ils n'ont plus grand chose à quoi se raccrocher. Elle vit dans un petit appartement, lui seul dans une villa de Venice Beach avec l'océan pour seul horizon, et la présence d'un mort, son fils. 

    FMLP - Pourquoi vos personnages ne parviennent-ils pas à se parler, à communiquer ?

    P. BParce qu'ils ne possèdent pas les mots, le langage. Ce ne sont pas des parleurs. Ce sont des taiseux. Ils ont toujours tout gardé par-devers eux, à commencer par leurs sentiments. Ils n'ont pas de sociabilité. Ce sont des êtres sauvages, à leur manière. Et ils redoutent plus que tout qu'on ne les comprenne pas, ou bien qu'on leur vienne en secours uniquement par pitié.

    FMLP - Le personnage de l’écrivain français qui écrit sur son ordinateur dans le café où travaille Laura, et dans lequel on pense bien sûr vous reconnaître, était-il important à vos yeux ? Faut-il, comme lui, s’imprégner d’ambiances et de lieux, s’immerger, pour écrire au plus juste ?

    P.BCe n'est pas mon habitude de me mettre en scène mais j'avais envie de faire une apparition dans le roman, "à la Hitchcock". Pour le reste, je ne crois pas nécessaire de bien connaître les lieux pour en restituer l'atmosphère. J'ajoute que souvent les endroits dont on parle le mieux sont ceux qu'on ne connait pas du tout, parce qu'on a la liberté de les inventer. On n'est pas corseté par le réel.

    FMLP - Dans le thème de l'incommunication comme dans votre style d'écriture, on peut penser à Marguerite Duras. Est-ce un modèle littéraire qui vous parle ?

    P. BDuras, c'est peut-être ma plus grande admiration. Peut-être même avant Proust. J'aime ces phrases où la sonorité parfois précède le sens. Et puis cette façon de dire par ellipses. Et, oui, bien sûr, cette impossibilité de dire, de se rejoindre.

    Philippe Besson est l'auteur de De là on voit la mer (Julliard), L'arrière-saison, Son frère, En l'absence des hommes, Les jours fragiles, Se résoudre aux adieux, Retour parmi les hommes, La trahison de Thomas Spencer, Un garçon d'Italie (10 / 18)

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  • Valérie Tong Cuong : quand l'esprit protège le corps...

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    Valérie Tong Cuong est l'auteure de L'ardoise magique. Elle a accepté de répondre aux questions de Fais-moi les poches sur l'écriture de ce roman, dans lequel l'esprit de Mina va la tromper pour mieux la sauver. Une lecture à conseiller aux adultes comme aux ados.

    Fais-moi les poches : - Pour écrire ce roman, vous avez dû vous mettre dans la peau d’une adolescente. Comment vous y êtes vous prise ? S’agit-il d’observation ou de puiser dans ses propres souvenirs ? 
    Valérie Tong Cuong : - J’ai utilisé bien sûr les réminiscences de ma propre adolescence qui fut compliquée, chaotique, intense, mais aussi l’observation de celle des autres – je m’imprègne en permanence de ceux que j’ai la chance de rencontrer, ados, enfants, adultes. 
    Il faut dire que j’ai des enfants adolescents : je baigne donc dans cet environnement qui m’a d’ailleurs inspiré également un court roman publié aux Editions du Moteur, la Battle
    Enfin, j’ajouterai que j’ai situé cette histoire à l'époque de l’adolescence, mais elle illustre avant tout un étranglement intérieur, un moment où l’on se sent au pied d’un mur infranchissable tout en étant dans l’incapacité à l’exprimer. Ce sentiment d’impasse, de solitude, d’être incompris, cette incapacité à avancer peut surgir à des moments très différents dans une vie, ce qui explique que tout le monde, quel que soit son âge, peut se sentir concerné par ce que ressent Mina, l’héroïne.

     

    FMLP - En ce moment, j’ai l’impression que les romans –français en particulier et féminins la plupart du temps- évoquent beaucoup la famille, les mères en particulier. Comment expliquer cette tendance ? 
    V. T. C  - Une hypothèse serait que l’éclatement des repères et la déshumanisation des rapports humains créent ce besoin de revenir à l’image fondatrice (et en principe protectrice, mais parfois destructrice) de la mère. Dans le même ordre d’idées, les quêtes d’identité se multiplient : beaucoup d’entre nous réalisent qu’ils se sont perdus de vue. Alors, ils ressentent le besoin de revenir à l’origine pour comprendre. Or l’origine de tout, de nos souffrances comme de nos capacités à nous défendre, réside dans la qualité de l’amour reçu (ou pas) dans l’enfance, au sein de la famille.

     

    FMLP - Dans L’ardoise magique, la « mort » d’Alice va sauver Mina, la préserver du suicide. Pensez-vous que notre inconscient puisse créer ainsi des réflexes de survie ?

    V. T. C - L’esprit est renversant dans les possibilités qu’il offre pour «protéger» le corps – la survie. Ainsi, il est admis que nous sommes capables d’occulter inconsciemment des événements de notre passé auxquels nous ne pourrions faire face. La mémoire va enfouir profondément un traumatisme, pour éviter tout simplement que nous nous suicidions. Elle reviendra seulement lorsque l’on sera assez fort pour l’affronter sans mettre notre vie en danger. Des sujets fascinants...

     

    FMLP - Repartir à zéro quand à 18 ans, on traîne déjà beaucoup de casseroles, être « résilient », ça demande beaucoup d’efforts . Où Mina va-t-elle puiser ces forces ? Avez-vous imaginé ce que va être sa vie après vos dernières lignes ?

    V. T. C - La résilience tient à différents facteurs. Le paramètre indispensable, c’est la rencontre. Seule, Mina serait incapable de modifier son point de vue. Elle resterait avec ses certitudes sombres. Mais David – « Sans-larme » va l’aider à décadrer, à revoir les choses sous un angle différent. Cependant, cette rencontre ne serait sans doute pas suffisante si Mina n’avait en elle des ressources de vie. Car malgré ses difficultés, elle a reçu de l’amour lorsqu’elle était enfant. Cet amour-là a préservé chez elle la possibilité d’aimer à nouveau la vie, et l’idée, même bien cachée, qu’elle pourrait à nouveau être aimée de son prochain. A l’issue du livre, Mina a beaucoup appris sur elle-même et sur le fonctionnement de l'être humain. Et elle sait qu'elle n'est pas condamnée à la solitude. Elle a donc les forces nécessaires pour avancer.

     

    FMLP - Etait-il important pour vous de surprendre le lecteur à la fin du roman comme vous l’avez fait ?
    V. T. C - Cette surprise était capitale dans la mesure où la narration se fait par la voix de Mina. C’est SA surprise à elle, qu’il fallait transmettre. Cela me permettait de créer un bouleversement chez le lecteur, de lui couper le souffle. Provoquer des émotions fortes, c’est un des intérêts de l’écriture romanesque.

    Photo : Delphine Jouhandeau 

    Valérie Tong Cuong est l'auteure de L'atelier des miracles  en grand format chez Lattès, La Battle, (Editions du moteur), et Providence, Big, Où je suis,  Gabriel, Ferdinand et les iconoclastes (J'ai lu), Noir dehors (Livre de poche)

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  • Emilie Frèche : Mère et femme ? Oui, mais pas au même moment...

     

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    Emilie Frèche est l'auteure du très réjouissant Chouquette, un roman de femmes. Des femmes larguées et attachantes, culpabilisées et désinhibées. Emilie Frèche a accepté de répondre, avec une grande sensibilité, aux questions de Fais-moi les poches ! sur ce livre qui fait le point, à sa façon, sur la condition féminine.

    Fais-moi les poches  -Catherine est une femme en crise personnelle engloutie -malgré elle et sans vraiment s'en apercevoir- dans la crise financière. Ce contexte était-il important pour mettre en scène votre personnage ?

    Emilie Frèche - Le contexte de la crise financière était très important, car c'est un livre sur la décadence. Sur la fin d'une époque. Celle de l'argent facile, de la jeunesse éternelle d'une génération qui ne veut pas céder sa place, d'un capitalisme qui se vivait comme la fin de l'Histoire et qui, comme tout ce système, arrive à sa fin. La crise financière répond à la crise intime que traverse Chouquette, et intensifie le sentiment de naufrage qui habite tout le roman.

    FMLP - Catherine, la grand-mère "indigne", ou sa fille, l'humanitaire à l'instinct maternel : laquelle de ces deux femmes vous semble-t-elle correspondre le mieux à son époque ?

    E.F - Il me semble que Catherine, comme Adèle, sont les archétypes de leur génération. Chouquette, celle des soixante-huitards qui a décidé pour l'éternité qu'ils seraient jeunes, libres, cools, festifs, amoraux, et puis Adèle, l'enfant issue de cette génération, sans repères, sans interdits à devoir enfreindre, et qui du coup pour se construire, devient "la mère de sa mère": une fille très sérieuse, très rigide, pleine de principes, qui fait de l'humanitaire parce qu'elle a une conscience aigüe du monde dans lequel elle vit - même si elle n'est pas fichue de s'occuper de son fils...

    FMLP-Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une femme de 60 ans ?

    E.F - La plus grosse avancée, pour les femmes, s'est faite dans les années 60-70: divorce, pilule, avortement... Elles ont été formidables, en se libérant de tant de choses, elles nous ont permis de grandir dans un monde où notre place, en tant que femmes, nous a toujours semblé évidente (même si il reste encore des disparités), et j'avais envie de voir, cinquante ans plus tard, où ces femmes en étaient dans leur vie. Est-ce qu'elles étaient heureuses ? Epanouies ? Je ne crois pas, car on peut se libérer de tout, mais pas de l'amour. C'est le cas de Chouquette, esclave de ses sentiments pour un mari odieux. Et quand on s'en libère, on souffre d'en manquer; c'est le cas de Diane Van Keler qui, malgré sa réussite professionnelle, sa beauté, sa vie sexuelle intense, vit dans une misère affective absolue.

    FMLP-Au bout du compte, être mère et femme, cela vous semble compatible ?

    E.F - Oui, bien sûr, heureusement qu'on peut être à la fois mère et femme. Mais peut-être pas au même moment, peut-être pas toujours parfaitement, ou aussi intensément - et ce n'est pas très grave. Et c'est le "ce n'est pas très grave" qu'il faut retenir ! Je crois que la femme moderne est une femme dotée du don d'ubiquité - d'ailleurs, j'ai écrit un roman sur la question, Une femme normale (Points Seuil), qui est le portrait d'une femme vue par trente personnages de son entourage: il y a trente femmes différentes, et c'est ça la normalité !

    FMLP-Que ressentez-vous pour Catherine ?

    E.F - Au premier abord, de l'agacement, du mépris, de la colère aussi, peut-être un peu de pitié, mais au bout du compte, de la jalousie je crois. Car Chouquette a eu cette chance inouïe d'aimer un homme pendant trente ans. De l'aimer vraiment. Aimer fait souffrir, certes, mais rend si vivant... J'envie le coeur qui bat de Chouquette

    FMLP-Pourquoi n'accordez-vous aux hommes que des rôles invisibles (ou presque) ?

    E.F  - Quand vous aurez lu Deux Etrangers, vous ne pourrez plus dire cela! C'est un roman sur une fille qui part retrouver son père après sept ans de silence. Le père est la figure masculine par essence, la toute première, et je crois que j'ai eu du mal à m'y attaquer, mais maintenant que c'est fait, les hommes pourront avoir la part belle dans mes livres !

    Photo :  Mélania Avanzato

    Emilie Frèche est l'auteure de Deux étrangers (Actes Sud), et en poche : Une femme normale (Points), Le film de Jacky Cukier (Babel).

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  • Entretien avec un vampire : Philippe Jaenada

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    Nous continuons notre voyage en Transylvanie en compagnie de Philippe Jaenada. Il nous dit tout sur l'écriture de "Bogdana", sa nouvelle vampirique de Bienvenue en Transylvanie. Tout, et un peu plus...

    Fais-moi les poches : - Pour établir ce recueil, avez-vous travaillé en concertation avec les autres auteurs ou avez-vous découvert les nouvelles des autres après l'écriture ?

    Philippe Jaenada : -Non, j'ai fait ça tout seul dans mon coin. Je connais plusieurs des auteurs qui ont participé au recueil, mais je ne les ai pas contactés au moment de l'écriture, je ne sais pas du tout ce qu'ils ont fait (j'ai un peu honte, je n'ai toujours pas lu).

    FMLP : - Vous poussez le souci du réalisme jusqu'à « inviter » un vampire dans votre propre famille... Ça ne les dérange pas ?

    P.J : - Ça ne risque pas de trop les déranger, car tout est vrai. Presque. Mon oncle (par alliance) roumain ressemble en tout point à celui de la nouvelle. Quand les choses sont vraies, on peut les écrire, non ?

    FMLP : -La scène où la jeune fille terrifiée surgit dans la forêt est digne d'un film comme « Projet Blair Witch » en terme d'épouvante. Qu'est-ce qui vous a inspiré pour l'écrire ?

    P.J : - Ce qui m'a inspiré, c'est la réalité, bien sûr. Non, bon, d'accord, le "presque" de la réponse du dessus est un peu vrai là, pour être honnête. Je me suis inspiré d'une sorte de légende que j'ai trouvée dans un magazine d'héroïc fantasy (ou quelque chose comme ça, je ne sais pas exactement comment s'appellent ces trucs-là) que lit mon fils. Mais faut pas le dire.

    FMLP : - Etes vous sûr et certain de ne pas avoir reçu d'héritage vampirique de votre oncle ?

    P.J :- Pas sûr, non. Un auteur qui utilise ce qui l'entoure, les gens qu'il connaît, pour en nourrir ses histoires, c'est un genre de vampire, il me semble. D'ailleurs, approchez, n'ayez pas peur, montrez-moi votre cou.

    Philippe Jaenada est l'auteur de Le Chameau sauvage (Prix de Flore 1997, adapté au cinéma sous le titre "A + Pollux"), La grande à bouche molle, Nefertiti dans un champ de canne à sucre, Le cosmonaute, Les Brutes, Plage de Manaccora, 16 h 30, La femme et l'ours... disponibles chez J'ai lu ou Points.

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  • Echange avec Martin Page : être un humain défectueux ou un vampire assumé ?

    Martin Page (c) Patrice Normand (2).jpgA l'occasion de la sortie de Bienvenue en Transylvanie, Martin Page, un des auteurs des 9 nouvelles vampiriques du recueil, a accepté de répondre à "Fais-moi les poches !" sur Astrid, son personnage de vampire, et sur sa représentation de ce mythe. Encore faudrait-il qu'il s'agisse d'un mythe...
     
    FM LP - Avez-vous une explication à la renaissance actuelle du thème du vampire ?
    Martin Page - Les vampires n'arrêtent pas de renaître. Quand j'étais plus jeune, les livres d'Ann Rice étaient de grands succès. C'est une illusion d'optique de croire que les vampires réapparaissent aujourd'hui. A chaque époque, ils prennent de nouvelles formes. Il y a eu Je suis une légende, de Matheson, Les prédateurs, de Tony Scott, au cinéma. 
    C'est un thème qui ne meurt pas. Il fait partie de notre inconscient collectif.
     
    FMLP - Votre vampire est, à la "ville", un être mal dans sa peau, qui ne correspond pas aux "normes". Devenir vampire serait-il pour elle un moyen de se venger de la société ? Avez vous voulu donner une dimension sociale à votre vampire ? 
    M.P - Devenir un vampire, dans mon histoire, n'est pas un choix. C'est une conséquence. Une maladie. Mais une maladie qui est aussi une adaptation : elle permet de se sauver. Elle arrache mon héroïne à l'espèce humaine, une espèce au sein de laquelle elle était en souffrance. Sa transformation en vampire est un moyen de vivre suivant sa sensibilité, son étrangeté.
    Bien sûr, il y a une dimension de critique sociale à mon histoire. Cela m'intéresse de parler des violences invisibles des gens bien éduqués, de la norme, et de défendre ceux qui, parce que trop sensibles, sont inadaptés.
     
    FMLP - Ne manifestez-vous pas dans votre texte plus de sympathie pour les vampires que pour les êtres humains ? Astrid n'a-t-elle pas des excuses que les gens "normaux" n'ont pas ?
    M.P - Je ne sais pas si Astrid a des excuses. Je ne crois pas. Il reste que oui je défends les vampires, incarnation pour moi de la différence et de l'extrême sensibilité. J'ai un point de vue particulier j'en conviens : la norme et l'humanité sont la réelle monstruosité. Les monstres sont les vraies créatures douces et humaines.
     
    FMLP - Hypnose, sophrologie, médecine générale, psychiatrie, Astrid cherche toutes les solutions possibles pour améliorer son mal-être, influencée par la lecture des magazines. Finalement, quitte à ne pas être dans la norme, elle va passer "de l'autre côté", en subissant l'influence d'un personnage clé.... Est-elle enrôlée ? Pouvait-elle faire autrement que devenir vampire ? Mettez-vous du symbole dans tout cela ?
    M.P - Elle n'est pas enrôlée. Elle est aidée et accompagnée. Non, elle n'avait pas le choix. A terme, c'était soit accepter sa nature de vampire, soit s'isoler davantage encore et s'enfoncer dans le malheur.
     
    FMLP - Etes-vous vous-même un peu "vampire" ? 
    M.P - Je ne peux pas répondre à cette question. Un serment m'en empêche.
     
    Martin Page est l'auteur, notamment de Comment je suis devenu stupide, J'ai lu ;  Peut-être une histoire d'amour, La mauvaise habitude d'être soi, Une parfaite journée parfaite, Points ; Viennent de sortir : L'apiculture selon Samuel Beckett, éditions de l'Olivier et Plus tard, je serai moi, Rouergue (littérature jeunesse).
    Photo : Editions de l'Olivier.

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