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Rencontres - Page 2

  • Carole Zalberg : "Mon outil est avant tout l'empathie"


    empathie,écriture,histoire familiale

    En écrivant A défaut d'Amérique, Carole Zalberg a entrepris un projet de grande envergure : un roman qui court sur plus d'un siècle, dans les remous et les cataclysmes de l'Histoire du XXème siècle. Dans ces turbulences, des êtres humains, des familles, des relations naissent et meurent. Sous la plume de Carole Zalberg, les événements prennent corps, les acteurs de l'Histoire ont un visage.


    Fais-moi les poches ! - Ecrire un roman qui se déroule sur plus d'un siècle, c'est un peu titanesque, ça ne fait pas un peu peur ? De quoi se nourrit cette écriture : témoignages, travail de recherche ?

    Carole Zalberg - Non, je n’ai pas été impressionnée pour la simple raison que je n’avais pas pour projet de couvrir le vingtième siècle. Comme toujours, je suis partie de quelques données et envies (la rencontre entre Adèle et Stanley, le voyage d’Adèle outre-atlantique un demi-siècle plus tard, l’envie d’explorer les effets des mouvements provoqués par les conflits, etc) et j’ai tiré sur le fil. Tout s’est imposé au fur et à mesure, y compris la construction. Bien sûr, j’ai fait quelques recherches. Juste assez pour ne pas commettre d’erreurs grossières mais pas trop : je n’aime pas que la documentation prenne le pas sur l’invention.


    FMLP - D'après vous, les traumatismes liés à l'Histoire peuvent-ils se résorber ou condamnent-ils irrémédiablement des familles ou des individus au malheur, même à travers les générations, comme peut le laisser penser le roman ?

    C. Z - Je n’ai pas de théories à ce sujet et, là encore, je me contente, de façon purement intuitive, d’imaginer des personnages et leur évolution. Mon “outil” est avant tout l’empathie. Ce que j’ai imaginé pour cette lignée de femmes, à mesure que je creusais, c’est un “mal” enkysté, ce sont des peurs métabolisées, transformées, que seul le temps - la vie qui s’écoule - permet d’évacuer.


    FMLP - Quel "rôle" joue exactement Suzan dans le scénario de votre roman ? Observatrice, rabat-joie, rattrapeuse de temps perdu... ?

    C. Z - Je crois que Suzan est tout cela à la fois. Elle rêve d’offrir à son père un dernier bonheur, est dépassée par ce qu’elle provoque et confrontée à ses propres limites et renoncements.


    FMLP - Et en ce moment, vous écrivez ?

    C. Z - Je suis davantage dans une phase de réécriture et de “mijotage” que d’écriture à proprement parler. J’ai retravaillé, pour le festival Livres à vous de Voiron, un roman inédit, “Entre autres” que les éditions Jérôme Millon publieront en tirage limité (c’est-à-dire confidentiel), relu les épreuves de Feu pour feu, mon roman à paraître en janvier chez Actes Sud, et je couve un prochain projet dont je ne peux encore parler mais qui me porte déjà alors même que je n’en ai pas écrit une ligne.


    Carole Zalberg est aussi l'auteure, entre autres, de La mère horizontale ; Et qu'on m'emporte, Albin Michel. Et en littérature jeunesse : Le jour où Lania est partie, Nathan ; Je suis un arbre, Actes Sud junior ; J'aime pas dire bonjour, Grasset jeunesse.
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  • Titiou Lecoq : "les défauts du roman sont aussi les miens"

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    Titiou Lecoq a réussi un objectif risqué en écrivant Les Morues : mélanger les genres, quitte à se retrouver dans la catégorie inconfortable des "inclassables". Car elle sait nous faire rire, réfléchir, palpiter, compatir, railler. Elle nous explique ici comment elle est parvenue à trouver un équilibre narratif pour aboutir à ce roman savoureux.


    Fais-moi les poches - Une idée de roman pareille, Titiou Lecoq, avec autant de rebondissements, de personnages très  caractérisés, dites-nous tout : comment ça germe ?

     

    Titiou Lecoq - Je suis partie des personnages. Dès le début, j'avais une idée assez précise d'Ema et de Fred. J'avais même des bouts de dialogue, des répliques. Donc leur façon de parler, d'être m'est venue spontanément. Après la question c'était : j'en fais quoi. J'ai été très méthodique. J'ai lu pas mal de manuels de scénarios pour savoir par quel bout prendre le truc. Il fallait que je réponde à des questions précises : quels sont leurs rapports, comment ils se sont connus, où est-ce que chacun en est dans sa vie au début de l'histoire, où est-ce que chacun arrive, quelle évolution intérieure et extérieure ils vont suivre etc. J'ai essayé de suivre une intrigue classique découpée en trois actes avec des conflits pour chacun des protagonistes et un climax.  Avant Les Morues, à la fac, j'avais écrit un premier roman monstrueusement long, avec des passages de bravoure, des idées géniales. Et puis en finissant de l'écrire, je m'étais rendue compte que j'avais oublié un truc : l'histoire. Je n'avais pas d'histoire. Pas d'intrigue principale, pas d'intrigue secondaire. Au final, j'avais écrit une suite de scènes plus ou moins réussies avec des gens qui buvaient du café et fumaient des clopes en discutant. 
    Donc là, j'ai été assez scolaire. Je me suis dit : cette fois, je vais apprendre comment on raconte une histoire, quels sont les mécanismes narratifs. Ensuite, évidemment, pendant l'écriture, je me suis éloignée de "leçons de scénario" mais j'ai pu m'en éloigner en sachant ce que je faisais. J'avais envie que ce roman se lise d'une traite. C'est aussi pour ça que j'ai choisi une intrigue policière comme trame principale parce que c'est un genre très formateur qui oblige à réfléchir à la manière dont on structure son histoire. 
     
    FMLP - Diriez-vous que votre roman vous ressemble ?
    T. L - J'aime beaucoup cette question. Je la trouve nettement plus pertinente que "est-ce qu'Ema vous ressemble ? Est-ce que c'est autobiographique ?" Donc j'imagine que oui. Je suis assez d'accord avec les théories littéraires qui présentent l'auteur comme une conscience du monde, une intention en acte. La vision du monde qui se dégage des Morues, c'est forcément moi. Les obsessions des personnages aussi. Un certain mode de vie sans doute également. Et les défauts du roman sont aussi les miens. 
     
    FMLP - Quel a été votre secret pour ne jamais verser vers un genre précis tout en flirtant avec l'intrigue policière, la critique sociale, le roman de filles... ?
    T. L - Pas de secret à part faire attention à maintenir un équilibre à chaque fois entre les genres. Pas un équilibre artificiel. Il suffisait que je suive la vie de mes personnages telle qu'elle était. La journée, on est au travail, avec les problèmes qu'on peut y avoir, le soir on est avec ses amis, ou seul, ou en couple. Et essayer d'alterner tout ça c'est difficile dans la vie. Il fallait retranscrire cette difficulté. Et puis au milieu, Fred et Ema devaient trouver du temps pour enquêter (souvent pendant leur journée de boulot évidemment). Mais c'était bizarre parce qu'en même temps, ma volonté de mélanger les genres (simplement parce que la vie est comme ça, je n'ai rien inventé, Victor Hugo l'a très bien expliqué pendant la bataille des Anciens et des Modernes au sujet de Hernani) je savais que c'était ce qui allait poser problèmes à des éditeurs. En France, l'édition fonctionne beaucoup par collection. Un polar c'est la collection noire, un roman plus classique/ générationnel c'est la blanche, un truc qui parle des femmes c'est la série girly. 
    J'ai même eu un éditeur qui acceptait de publier le roman si je le réécrivais entièrement en choisissant un genre précis. Alors que mon idée de base était exactement l'inverse. 
    Et puis, même à la sortie, il y a eu des lecteurs qui étaient troublés par ce mélange. 
     
    FMLP - L'humour c'est important pour vous dans l'écriture ? Souhaitez-vous faire rire vos lecteurs, les faire rêver, réfléchir ?
    T. L - Oui. L'humour c'est important pour moi dans l'écriture. Même dans les articles que je peux faire parce que je pense que c'est aux auteurs d'aller vers les lecteurs et pas forcément l'inverse. Quand on veut parler de sujet pas sexy comme la Révision Générale des Politiques Publiques, ça passe mieux en y ajoutant des blagues. C'est plus pédagogue. 
    Après, dans ma vie en général, même au milieu des pires catastrophes, mes amis et moi, on a tendance à faire des blagues. Sinon ce serait invivable. Je crois que c'est Chesterton qui disait "la vie est une chose trop importante pour être prise au sérieux". 
     
    FMLP - La sortie en poche de votre roman, est-ce aussi un moment clé ?
    T. L - Quand j'ai appris que le Livre de Poche achetait les droits des Morues, j'étais très contente parce, pour des raisons financières évidentes, c'est dans cette collection que j'ai lu le plus de romans. Mais ça restait assez abstrait. Mais depuis la parution du poche, c'est marrant parce que je découvre à quel point ça donne une deuxième vie à un livre, une nouvelle exposition. Ca va faire deux ans que les Morues sont parues et je me retrouve de nouveau à recevoir des messages de lecteurs (ou des demandes de blogs ;) 
     
    FMLP - Et en ce moment vous écrivez quoi ?
    T. L - Je galère comme une damnée sur un deuxième roman mais je vais en venir à bout. (Autopersuasion.) Mon éditrice m'avait prévenue que le deuxième c'était le plus douloureux à faire. Elle avait raison. Surtout quand le premier a bien marché. Il y a une pression ridicule qu'on se met involontairement. Donc niveau parution, il est prévu pour septembre 2014. Et j'ai aussi un autre livre en cours, qui est une adaptation de mon blog (Girls and geeks) qui devrait paraître vers janvier prochain.  
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  • Harold Cobert : écrire sur des sujets peu abordés : une obsession

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    Avec Dieu surfe au pays basque, Harold Cobert n'essaie pas de nous vendre un roman de vacances sur fond de crème solaire. Il s'attaque à un sujet difficile et peu traité : le traumatisme de la perte de l'enfant à naître. Objectif ambitieux et pari réussi pour Harold Cobert.

    Fais-moi les poches - Harold Cobert, en écrivant ce roman, aviez-vous bien conscience d'entrer sur un territoire vierge, un sujet peu ou pas abordé, a fortiori par des hommes, le thème de la fausse-couche ?

    Harold CobertOui, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai eu envie d’écrire ce roman. Traiter d’une manière romanesque des sujets pas ou peu traités est chez moi une obsession, une ligne directrice qui se dégage de mes romans aux sujets en apparence si éloignés les uns des autres. La « génération sacrifiée » née dans la première moitié des années 70 (Le Reniement de Patrick Treboc), les SDF que l’on ne veut ni voir ni entendre (Un hiver avec Baudelaire), Mirabeau que l’Histoire et les historiens ont injustement bâillonné par l’oubli (L’Entrevue de Saint-Cloud), et ici, dans Dieu surfe au Pays basque, le père en devenir dont la construction est interrompue par la fausse-couche de sa femme et la perte de l’enfant à naître. J’aime mettre en lumière les zones d’ombre et donner la parole aux silences.

    FMLP- Quel genre de retours de lecteurs et lectrices avez-vous reçu après la publication de ce roman ?

    H.CDes retours bouleversants de femmes et d’hommes qui ont été confrontés à cette expérience malheureuse. Très récemment, une femme m’a écrit pour me dire que, suite à lecture de ce livre, son mari lui a parlé pour la première fois de ce qu’il avait ressenti lors d’une fausse-couche qu’elle avait faite par le passé. Ce roman a débâillonné son silence. Rien que pour eux, j’ai eu raison d’écrire cette histoire.

    FMLP- Pourquoi avoir choisi de ne pas nommer la femme du narrateur, de seulement utiliser l'expression "ma femme" pour l'évoquer ?

    H.CPour la même raison que le narrateur n’est jamais nommé : pour que, malgré la précisions des détails et les spécificités de cette histoire, chacun puisse investir l’un ou l’autre des deux personnages et trouver ainsi des échos qui résonnent avec sa propre vie.

    FMLP- Plusieurs références aux croyances religieuses se devinent dans le roman, entre refuge et capitulation... Et puis finalement Dieu apparaît dans le titre. Quel rôle joue-t-il exactement dans ce roman, dans cette trame ?

    H.CIl joue le rôle de Judas : de celui qui, quand on a vraiment besoin de lui, nous abandonne et nous laisse face au plus insupportable des silences. Mais Dieu, s’il existe, a fait l’homme libre, et a donc renoncé à toute ingérence dans son destin…

    FMLP- Et en ce moment, vous écrivez ?

    H.CBeaucoup ! J’ai trois scénarios de films et téléfilms en développement chez trois producteurs différents, un roman en chantier pour la très belle collection « Miroir » d’Amanda Sthers chez Plon, un autre roman en écriture, une série de six documentaires pour Arte, et d’autres projets dont j’attends confirmation ou infirmation… Bref, je n’ai pas le temps d’avoir des fourmis dans les doigts pour cause d’inactivité !!!

    Photo : © DAVID IGNASZEWSKI / KOBOY

    Harold Cobert est également l'auteur de Au nom du père, du fils et du rock'n roll ; L'entrevue de Saint-Cloud (Héloïse d'Ormesson) ;  Petite éloge du charme (Françoise Bourin), Un hiver avec Baudelaire ; Le rendez-vous manqué de Marie-Antoinette (Livre de poche) ; Le reniement de Patrick Treboc (Lattès)

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  • Caryl Férey : "Adepte du grand écart, tout est en place ! "

    écriture,cinéma,cannes,éditionCaryl Férey trempe habituellement sa plume dans l'encre noire du polar. Après Zulu (adapté au cinéma par Jérôme Salle et présenté cette année à Cannes !), Haka, Saga Maorie ou encore Mapuche, le voilà qui nous livre Comment devenir écrivain quand on vient de la grande plouquerie internationale. Un retour en humour sur le parcours du combattant de l'aspirant-écrivain.

    Fais-moi les poches ! - Alors Caryl Férey, vous êtes devenu héros ou persona non grata à Montfort-sur-Meu, promue capitale de la "plouquerie" grâce à vous ? Et dans les maisons d'édition ou boîtes de production télé que vous citez ?

    Caryl Férey - Je pense que les Montfortais auront saisi l'amicale dérision. Idem pour les maisons d'édition !

    FMLP - Dans votre roman, vous décrivez deux mondes sauvages : celui de l'enfance et de ses souffre-douleurs (vous, en l'occurrence) et celui de l'édition. Lequel est le pire selon vous ?

    C.F - En fait, ni l'un ni l'autre, ou les deux. Dans tous les cas, l'important est de suivre son chemin sans tenir compte des sens interdits.

    FMLP - La publication de votre premier roman grâce à la souscription de vos amis, des clients du bar dans lequel vous travailliez à Rennes, a lancé votre carrière à la fin des années 90. Une telle aventure serait-elle possible aujourd'hui, voire facilitée par la sphère numérique ?

    C.F - Oui, je pense que c'est même plus probable aujourd'hui avec internet et les projets qui vont avec - pour le meilleur et pour le pire.

    FMLP - L'adaptation de votre roman Zulu a été présentée hors-compétition à Cannes cette année ! Alors, Caryl Férey, vous en êtes où avec la plouquerie ?

    C. F - L'ironie du sort a voulu que "la plouquerie" sorte la même semaine à Cannes : adepte du grand écart, tout est en place.

    FMLP - Qu'écrivez-vous en ce moment ?

    C. F - J'écris mon prochain gros roman, qui se déroulera au Chili. Beaucoup de frustrations - pour le moment c'est nul.

    Caryl Férey est aussi l'auteur de Mapuche (Série noire Gallimard), Saga Maorie, ZuluHaka, La jambe gauche de Joe Stummer, Utu, D'amour et de dope fraîche (Le Poulpe) (Folio policier), Petit éloge de l'excès (Folio), Raclée de verts (Pocket)...

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  • Paul Vacca : "La lecture, un acte charnel et fédérateur"

    385671_235819876544592_468334448_n.jpgDans La petite cloche au son grêle, Paul Vacca fait adhérer le lecteur, à son insu, à un pacte autobiographique. Pourtant, les apparences peuvent se révéler trompeuses. C'est ce que nous explique l'auteur, avec la fraîcheur que l'on retrouve dans son roman. Merci à lui pour ces révélations surprenantes sur ses "secrets de fabrication".

    Fais-moi les poches - Pour commencer, quelle est la part d'autobiographie dans ce roman ?

    Paul Vacca - Je serais tenté de dire "rien" puisque toute cette histoire est une pure fiction. Je n'ai pas vécu dans le Nord, ni dans un bar, je n'ai pas lu Proust à 13 ans etc. Je n'avais pas à travers ce roman l'envie de me raconter, ni de faire de mon expérience et de ma vie un matériau fictionnel. Pour autant, il se glisse toujours qu'on le veuille ou non d'ailleurs -une part d'autobiographie... Mais elle reste difficile à évaluer. Où se situe-t-elle ? Je ne saurais le dire. Si, j'avoue, j'ai quand même cédé une petite concession autobiographique : j'ai bien eu une prof de Français qui s'appelait Mlle Jeannin qui m'a fait subir les mêmes supplices en classe qu'au narrateur !

    FMLP - Pourquoi avoir choisi le style autobiographique, avec une telle vraisemblance dans les descriptions et les ressentis, pour écrire ce roman ?

    P.V - Je ne sais pas si ce sont les decriptions ou les ressentis qui créent cet effet. Je serais tenté de dire que c'est plutôt par le "pacte autobiographique" que je passe avec le lecteur en parlant à la première personne. Cela induit fatalement un certain type de relation au récit. Je voulais jouer de cet effet d'optique pour créer un effet de réel... Le paradoxe romanesque : tromper le lecteur pour qu'il soit en confiance. Je recherchais plus de proximité pour cette histoire. C'est d'ailleurs un des ressorts de toute fiction... C'est aussi un autre clin d'oeil à Marcel Proust. La Recherche du Temps perdu est écrite à la première personne sur un pacte autobiographique... Mais Proust en a fait une oeuvre romanesque à part entière évidemment. Il y a bien sûr le terreau vécu mais c'est la transformation, l'alchimie proustienne qui importe, sa vision... Et jamais le narrateur ne donne son nom bien que souvent on entend parler de "Marcel" le concernant. Toutes proportions gardées, j'ai subi la même méprise sur le nom du narrateur : à plusieurs reprises des lecteurs ont évoqué un certain Paolo alors que nul prénom n'apparaît jamais.

    FMLP - Pourquoi avoir choisi la deuxième personne du singulier pour évoquer la mère du narrateur ?

    P. V - C'est un choix qui s'est imposé à moi en cours d'écriture. J'ai commencé le livre à la troisième personne, puis à la première personne uniquement... Mais une fois le premier jet rédigé, j'ai senti que quelque chose cochait - si je peux me permettre le jeu de mots. Cette histoire pour être portée jusqu'au bout devait contenir une adresse du narrateur à sa mère. D'où l'idée du "tu" qui a germé. Je voulais que le lecteur se retrouve plongé dans une confidence entre un fils et sa mère ; sauf qu'il s'agit du livre que le lecteur est en train de parcourir. Ainsi le lecteur tient dans ses mains le fruit de la promesse de l'enfant, le livre qu'il a promis à sa mère. Je voulais que le lecteur puisse ressentir une forme de libération à la fin du roman. En lisant le livre, il a vécu -et participé !- aux retrouvailles du fils et de sa mère.

    FMLP - La lecture, la famille, l'amitié : des remèdes simples contre les agressions extérieures ?

    P. V - Remèdes simples, je ne sais pas... J'ai souhaité montrer en tous cas que la lecture, loin d'être un acte passif et solitaire, constitue un acte charnel et fédérateur. Une lectrice perspicace m'a d'ailleurs fait remarquer que le livre trouvé par le narrateur dans le roman -Du côté de chez Swann- jouait le rôle de fée dans cette histoire qu'elle qualifiait de conte... En effet, il fédère et unit la famille dans une certaine mesure lui jette un sortilège de bonheur ou d'antidote au malheur. Les livres ont ce pouvoir. C'est d'ailleurs ce que vous prouvez quotidiennement dans vos blogs littéraires : la lecture comme puissant objet de partage et d'échanges qui permet de transcender les vicissitudes quotidiennes. Alors toutes mes félicitations pour ce que vous faites ! Et un message : continuez !

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  • Gaëlle Josse : "Je ne juge pas mes personnages"

    1 ©XavierRemongin_gaelle031.jpg©XavierRemongin (3).jpgGaëlle Josse nous confie ses personnages, ou plutôt elle les dépose délicatement sous nos yeux. Pour qu'on les observe, qu'ils nous interpellent, mais pas pour qu'on les juge. Elle-même ne le fait pas, et se laisse émouvoir par ces êtres de papier, fragiles et mystérieux. Elle nous l'explique ici.

    Fais-moi les poches - La musique peut-elle être pour vous une métaphore de la vie, comme peut le laisser entendre notamment le titre du roman ?

    Gaëlle Josse - Votre suggestion est très juste, même si, en écrivant, je n'avais aucune intention de cette sorte, c'est une fois le livre refermé que l'on peut le comprendre, -l'entendre !- ainsi. Il est vrai que la vie se prête à d'innombrables métaphores, images, comparaisons, et celles liées à la musique en donnent une lecture très parlante. On compose ou on joue sa partition, on tient sa partie, on cherche l'harmonie, la note juste, en tentant d'éviter trop de dissonances, de fausses notes, -de couacs !-, comme l'expriment de nombreuses expressions courantes. On pourrait aussi dire que le cours de nos vies s'écrit dans les tonalités et des modes variés, avec des tempos, des nuances, des intensités diverses, et bien sûr, entre accords et désaccords, et que le duo formé par un couple repose sur la complémentarité, sans forcément rechercher toujours l'unisson... Pour autant, ce qu'il m'intéressait d'explorer avant tout, ce sont ces questions taraudantes de la réparation, du remords, de la blessure infligée à l'autre, du regard aveuglé que l'on peut porter sur sa propre vie. Que faire lorsqu'on réalise que l'on est passé à côté de l'essentiel ? Jusqu'à quel point savons-nous aimer ? Que sommes-nous prêts à sacrifier à l'autre ? Ce sont les "grandes questions" qui sous-tendent nos existences, qui se traduisent non par des décisions solennelles, mais par une succession de choix, d'actes, de comportements, parfois anodins, et qui, en fin de compte, dessinent le visage, ou écrivent la musique de nos vies...

    FMLP - Que pensez-vous de vos deux personnages principaux ? Que vous inspirent-ils dans leurs façons d'être, leurs réactions ? Je pense notamment à François : est-il lâche ou trop pris dans sa passion du piano ?

    G. J - Je m'aperçois, avec cette question, que je ne juge pas mes personnages. François, le musicien brillant, si peu doué pour la vie, et Sophie, l'artiste rebelle, fragile, qui marche sur les lignes de faille. En y songeant, je m'aperçois que leurs façons d'être sont pour chacun le reflet, la traduction de leurs fragilités, plus ou moins surmontées, assumées. François a construit sa carrière pour obtenir enfin un regard d'amour posé sur lui, pour apaiser les grandes blessures de l'enfance. Sophie, elle, n'est pas dans cette attitude volontariste, je crois qu'elle vit au plus près de ses émotions, de ses fragilités, dans une totale sincérité, ce qui la rend très vulnérable. François, lâche ou "seulement" inconscient, négligent ? C'est là toute l'ambivalence, toute l'ambigüité du personnage. Le déroulement de sa carrière, dont il se sent un peu prisonnier, lui cache les réalités de la vie, les souffrances de Sophie, c'est une vie qui lui tend un miroir valorisant, mais qui l'isole des atres. Et il me semble que bien souvent nous ne faisons pas intentionnellement souffrir autrui, c'est davantage par inattention, par manque d'écoute que par volonté délibérée, et c'est peut-être pire... Je crois que c'est le cas de François, lâche, oui, et surtout inconscient.

    FMLP - François, en se rapprochant à nouveau de Sophie, ne la met-il pas en danger ?

    G.J - Si, c'est très vrai. Se rapprocher, dans une intention de "réparation", de quelqu'un qui a basculé, pour se libérer d'une immense culpabilité, est un geste à la fois sincère et dangereux. Peut-être Sophie a-t-elle trouvé, dans l'absence et le silence d'un lieu clos, protégé, une forme d'anesthésie à sa douleur, et revoir celui qui en est la cause rique de récativer des souffrances terribles, pires peut-être. D'où ce temps suspendu, où François va devoir apprendre l'attente, et c'est à ce moment-là qu'il va être confronté à lui-même, qu'il va remonter le cours de sa vie et tenter de comprendre son cheminement, ses choix, ses actes et ses manques. C'est à ce moment-là, dans le dépouillement de tout ce qu'il est, dans le renoncement à ce qu'il fait, qu'il va devenir lui-même en allant vers sa vérité intérieure. C'est dans cette dimension qu'il m'a émue lorsqu'il s'est peu à peu dessiné ainsi pendant l'écriture de ce livre.

    FMLP - Sophie rompt avec une réalité trop dure à supporter. On ressent en elle une souffrance prélable à cette histoire. Ce drame a-t-il été le rappel d'autres souffrances ?

    G.J - Oui, Sophie est un être blessé, il est fait allusion à ses souffrances antérieures, avec ses parents, son frère, à ses modes de vie autodestructeurs, à son errance, son nomadisme, et aussi à cette énergie qu'elle projette dans son art en peignant. Toutefois, je n'ai pas voulu entrer dans le détail de son passé, il est sans équivoque, je crois, mais abordé de façon elliptique, chacun peut l'imaginer à son idée. Je n'aime pas le mélo ni le pathos appuyé, il me semble que l'écocation a davantage de force, parce qu'elle propose quelque chose au lecteur, sans lui imposer... Le drame qu'elle a vécu avec François lui a porté le coup de grâce, en effet. Mais la fin du livre est une fin ouverte, tout est possible...

    FMLP - Comment vous est venue l'inspiration de ces deux personnages ?

    G.J - Plusieurs éléments se sont croisés, et ont ouvert des portes dans mon imaginaire. Ensuite, l'histoire s'est imposée, il me restait à l'accueillir au mieux. J'assistais un soir à un récital de piano donné par une de ces "stars" du clavier qui semblent tout avoir : la jeunesse, la beauté, l'élégance, la gloire, et cette apparente facilité à recréer devant nous une oeuvre en faisant oublier le travail de titan, de forçat, qui se cache derrière, avec une vie entre deux avions, deux hôtels, deux salles de soncert, Paris, Tokyo, Prague, New-York... Les spectateurs debout, les rappels, les bouquets de fleurs, et le costume même pas froissé ! Je me suis demandée ce qui pouvait se passer lorsque de telles vies -extra-ordinaires- viennent à se gripper, et si les vies privées de ces héros sont aussi flamboyantes que leur art, ou si comme chacun ils connaissent le doute, la souffrance, l'abandon... Pour Sophie, il s'agit de quelque chose de plus intime, de plus personnel, de très à vif pour moi. Je suis hantée par cette idée de l'absence, du silance, comme réponse, ou comme défense lorsque la vie devient trop difficile, trop contondante, qu'on ne sait plus y faire face, parce que nos capacités de souffrance sont épuisées. Le portrait de cette jeune femme, sans concessions, intense, fragile comme du verre, qui vit dans la seule vérité de ses émotions, s'est peu à peu précisé. Elle aussi, en me guidant dans les replis de son âme, m'a beaucoup émue lorsqu'elle avançait, si nue, si démunie, au fil des pages.

    Photo : Xavier Remongin

    Gaëlle Josse est également l'auteure de Noces de neige (Editions Autrement).

    Retrouvez Gaëlle Josse sur son blog : http://gaellejosse.kazeo.com/

    Catégories : Livre, Rencontres 0 commentaire
  • Laurent Sagalovitsch : "La sortie en poche de Dade City : une seconde naissance"

    roman,religions,juif,adolescent,fugue,jean-philippe blondel,blog,moraleQuand j'ai demandé à Laurent Sagalovitsch s'il accepterait de me parler de son roman Dade City, il m'a répondu avec l'humour et la répartie qui semblent le caractériser qu'il n'était plus très sûr de se souvenir de quoi parlait ce texte. Et pour cause. L'édition poche arrive 17 ans après la sortie du grand format. L'occasion pour l'auteur de re-découvrir ses mots, mais aussi pour les lecteurs. Si vous avez raté la première diffusion de Dade City en 1996, pas de panique, la voici en replay. Et c'est une excellente initiative !

    Fais-moi les poches - Pour commencer, une question s'impose d'elle-même : n'est-ce pas un peu étrange de voir un de ses romans sortir en poche 17 ans après sa sortie en grand format ?

    Laurent Sagalovitsch - C'est comme une seconde naissance, d'autant plus que j'ai hérité d'une nouvelle couverture encore plus réussie que la première. Ceci dit, c'est vrai que c'est assez étrange comme sensation. On a comme l'impression que le livre a été écrit par une autre personne ou alors par vous mais dans une vie antérieure. Le pire, c'est que je ne me souvenais absolument plus de l'intrigue du roman. Comme si ce n'était pas moi qui l'avais écrit.

    FMLP - Vous vivez aujourd'hui à Vancouver. Au moment de l'écriture, aviez-vous déjà une bonne connaissance du continent américain ? Comme je l'ai demandé à Philippe Besson il y a quelques semaines à propos de Une bonne raison de se tuer, votre roman aurait-il été transposable ailleurs ?

    L. S - Je n'avais jamais mis les pieds en Amérique à cette époque ! Ceci dit, je baignais dans la culture américaine puisque en tant que critique littéraire à Libération, je m'occupais de la littérature anglo-saxonne. Donc mentalement je connaissais bien le pays. Reste que je ne suis pas certain que l'action se déroule en Amérique même si par la suite j'ai découvert qu'il existait en Floride une ville répondant au nom de Dade City ! Pour moi le roman se passait plutôt en Suisse...

    FMLP - Aviez-vous l'intention de proposer une morale à la fin de ce roman, comme un règlement de compte avec une certaine vision de la religion, représentée dans le roman par le père du jeune narrateur (à l'opposé du vieux commerçant juif, chaleureux et en questionnement) ?

    L. S - Non, non, je ne suis pas un moraliste. Je n'écris pas des romans pour défendre des idées. Je déteste les romans à thèse. Et je ne pense pas que j'avais la moindre idée de la fin en commençant ce roman. La fin s'est imposée d'elle-même. Naturellement. Ceci posé, il est bien évident que je n'ai guère de sympathie pour ceux qui prennent la religion comme un dogme inébranlable.

    FMLP - Comment vivez-vous le fait d'avoir été à l'origine (c'est l'auteur qui l'affirme !) d'un roman très marquant de Jean-Philippe Blondel, Et rester vivant ?

    L. S - J'attends toujours de recevoir son chèque ! C'est vraiment une drôle d'histoire. Très romanesque en même temps. Mais jamais je n'aurais pensé que j'aurais pu être l'élément déclencheur d'un roman si intime. Je pense que Jean-Philippe avait ce roman en lui depuis des années et que j'ai appuyé, bien malgré moi, sur le bon bouton. Je dois dire que la lecture de ce livre m'a bouleversé. Il se met vraiment à nu sans jamais s'apitoyer sur son sort.

    FMLP - Et aujourd'hui vous écrivez quoi ? Quels sont les sujets qui vous inspirent ? On peut lire dans votre blog un intérêt vif pour l'actualité, qu'elle soit française ou internationale. Ces sujets rentrent-ils dans vos possibilités d'écriture littéraire ?

    L. S - Ce sont vraiment deux choses différentes. D'un côté le blog, de l'autre le roman. Le blog me permet d'écrire sur mon époque, le roman d'écrire sur moi. La démarche est totalement différente. Le blog, je le destine aux autres. Le roman, c'est seulement pour moi. Je n'écris pas un roman pour être lu, au contraire du blog. J'ai beaucoup de mal à écrire des romans contemporains. Des romans en prise avec l'esprit du temps. Je ne suis pas sûr que cela m'intéresse. Du moins pour le moment.

    Laurent Sagalovitsch est également l'auteur de Un juif en cavale, La métaphysique du hors-jeu, Loin de quoi ?, La canne de Virginia  (Actes Sud).

    Retrouvez-le aussi sur son blog : You wil never hate alone.

    Pour en savoir plus sur le rôle étonnant de Laurent Sagalovitsch dans l'écriture du roman de Jean-Philippe Blondel Et rester vivant, lisez ces deux articles : Et rester vivant, Jean-Philippe Blondel ; Jean-Philippe Blondel : Des deuils, Lloyd Cole, ce roman, le soulagement

     

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