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  • Désorientale, Négar Djavadi

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    Il y a le génie de ce titre, ce mot-valise qui résume vraiment parfaitement l'ambiance du roman, une trouvaille sémantique qui synthétise une histoire. L'histoire, c'est celle de Kimiâ. On fait connaissance avec la jeune femme dans la salle d'attente d'un hôpital parisien, où elle attend son tour pour une insémination. Dans cette salle à l'ambiance gênée, les pensées de Kimiâ remontent le fil de son existence, de Téhéran où elle est née, à Paris où elle vit. Entre les deux endroits, un parcours sinueux : la vie d'une famille d'opposants politiques aux régimes du Shah puis de Khomeiny, le deuil d'un pays, d'une culture étouffée par la dictature, l'exil à travers les montagnes, les menaces, l'adaptation à un nouveau pays, la quête d'identité, la terreur persistante, même longtemps après.

    Négar Djavadi économise ses phrases, sait toujours comment écrire pour aller droit au but, sans jamais rien ôter de la richesse des échanges entre les personnages. Le parcours de Kimiâ s'inscrit dans la géopolitique mondiale, comme dans l'intimité la plus ténue. Entre le très grand et le très petit. Désorientale, c'est un roman tout en finesse, qui évoque bien sûr le Persepolis de Marjane Satrapi.

    Désorientale, Négar Djavadi (France). 350 pages. Editions Liana Levi.22 €

    Catégories : Littérature Française 0 commentaire
  • Valentine Goby : "J'ai besoin du terrain, de la matière..."

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    Alors qu'elle fait la tournée des librairies pour rencontrer les lecteurs de Kinderzimmer, son dernier roman au succès retentissant, Valentine Goby a accepté de répondre aux questions de Fais-moi les poches sur Banquises, son précédent opus. Elle revient sur l'immersion nécessaire à l'écriture de ce roman, sur les métaphores qu'il emprunte. Merci à elle pour sa disponibilité incroyable et la force de ses réponses !

    Fais-moi les poches ! On peut lire en exergue de Banquises que vous avez bénéficié d'une mission au Groenland pour la préparation de ce roman...

    Valentine Goby - Oui, je n'écris pas une œuvre de création pure. Jamais. J'ai besoin du terrain, de la matière, de l'Histoire, de la Géographie. Je voulais partir vérifier une hypothèse : il est aussi violent pour une famille de perdre un de ses membres essentiels que pour une communauté de perdre un élément central de son territoire : la banquise. Et que la perte force les identités à se redéfinir profondément, singulières et collectives. Ce voyage coûtait très cher. C'est pauvre, la banquise, mais c'est d'un accès difficile. Plusieurs avions de plus en plus petits, jusqu'à l'hélicoptère. Et puis il faut un équipement spécifique, puisque je voulais partir chasser sur la glace. J'ai fait une demande de bourse de recherche, sans laquelle je n'aurais jamais pu faire le voyage.

    FMLP - Aviez-vous envisagé ce scénario de roman uniquement dans ce décor ? 

    V. G - J'ai d'abord travaillé sur la famille. Ce qu'est une famille. Une entité singulière, composée d'individus qui eux-mêmes revendiquent une singularité, et forment ensemble une entité encore différente de l'addition des personnalités. Pour le sentiment de la perte, le poids de l'absence, je voulais un territoire symbolique. J'ai vu des images du Cop 15, sommet de Copenhague qui a été un échec retentissant pour la coopération internationale. Et soudain ces images de glace qui fond m'ont touchée. Non pas comme un phénomène lointain, extérieur, pour lequel j'aurais éprouvé une forme de compassion, mais comme une perte intime. J'ai eu envie que la petite et la grande échelle se répondent. Car ces banquises, ce sont des territoires si visibles, quand ils s'effacent. Comme les gens, dont l'empreinte, le contour est parfois plus vaste que la présence physique : ils prennent alors tout l'espace.

    FMLP - Pourquoi ces lieux vous attiraient-ils ? 

    V. GPour leur valeur symbolique, métaphorique. La banquise s'efface inexorablement. La banquise est aussi un lieu dans lequel le face-à-face avec soi-même est irrémédiable, et constant. C'est très impressionnant, je l'ai vécu comme un bouleversement salutaire et terrifiant. Nul dérivatif, nulle digression dans le paysage, peu d'ombre : on ne peut pas se mentir, sur la banquise. Mon personnage ne pouvait pas se mentir. Et puis c'est un lieu aux spécificités acoustiques étonnantes. Et Sarah, cette jeune femme qui s'en va au Groenland, est acousticienne. La banquise, c'est une surface de réverbération maximale, mais nul obstacle ne renvoie le son : il s'enfuit donc, à une vitesse fulgurante, et meurt de n'être renvoyé par rien. Belle métaphore, aussi, de la perte. Sarah, sur la banquise, vient chercher le silence.

    FMLP - Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez travaillé sur place ?

    V. GUne bourse de recherche Stendhal m'a permis de partir, et de vivre avec des groenlandais du village d'Uummannaq, chasseurs-pêcheurs, 1000 environ, et 5000 chiens pendant près de 6 semaines. C'est beaucoup d'attente. Beaucoup de silence. Beaucoup d'observation. J'ai regardé, écouté, sans comprendre car je ne parlais pas la langue. Je me suis laissée emmenée, guider. Le temps était complètement étiré. Il n'y avait plus de nuit. Il n'y a pas grand chose à raconter de plus que ce qui est dans le livre. J'étais sur une île entourée de banquise, puis d'eau, complètement isolée. J'ai marché, pris des photos de la fonte des glaces, je suis partie sur la glace avec les chiens, j'ai vu les chiens inutiles, ils ont été tués. Tout cela, je l'ai vu. Et puis je l'ai écrit.

    FMLP - La fin d'une époque pour les habitants du Groenland transparaît beaucoup dans vos lignes. Est-ce à mettre en relation avec le fin des illusions de Lisa, votre personnage ? 

    V.GJe ne crois pas que Lisa ait la moindre illusion. Elle ne part pas pour retrouver sa sœur, ou alors c'est son empreinte qu'elle cherche, celle du dernier voyage. Lisa a dû imaginer sa sœur morte pour continuer à vivre, elle qui était toute adolescente quand Sarah a disparu. Ce voyage est une façon de dire au-revoir à Sarah, de se réconcilier avec soi-même, de suturer les bords du temps.

    FMLP - Votre dernier roman, Kinderzimmer, en est à sa 7ème réimpression ! Ce succès vous laisse-t-il encore le temps d'écrire ?

    V. GNon. Mais ce n'est pas seulement le succès, c'est que j'ai dit oui à 70 librairies, à qui je dois bien cela, elles qui soutiennent le livre magnifiquement. Et puis c'est un livre qu'on porte, vraiment, on ne se défait pas de l'avoir écrit par décret. J'ai besoin de temps avec lui. J'écris pour la jeunesse. Je prépare mes cours pour Sciences-Po, une conférence sur Charlotte Delbo. Mais je n'écris pas encore un autre roman, je n'en ai même pas l'idée...

    © Crédit photo : Fanny Dion

    Valentine Goby a aussi écrit Kinderzimmer (Actes Sud) et en format poche : L'échappée, Qui touche à mon corps je le tue, Des corps en silence, La note sensible, Petite éloge des grandes villes (Folio). Elle écrit aussi pour la jeunesse.
    Catégories : Livre, Rencontres 0 commentaire