JO de Montréal 1976. Le monde entier a les yeux rivés sur la très jeune Nadia Comaneci, prodige de la gymnastique roumaine. Elle vient de réaliser un parcours sans faute, tellement parfait que les écrans s'affolent, affichent un 1, 00 au lieu d'un 10, note normalement impossible à obtenir dans la discipline. L'univers entier découvre la perfection, en même temps que l'existence de cet obscur pays communiste, satellite de l'URSS, qui sait si bien préparer ses athlètes, les former dès le berceau.
C'est un exercice vraiment troublant et fascinant auquel se livre Lola Lafon dans ce roman. La narratrice y est en lien avec Nadia Comaneci car elle cherche à écrire sa biographie. Pourtant l'imaginaire se taille la part du roi dans ce texte, bâti autour de documents vidéo, témoignages d'époques, certes, mais en s'en inspirant très librement. Le lecteur s'embrouille : qui est l'auteur ? Qui est le narrateur ? Quel est la part de fiction dans ce récit ? Pour finalement se laisser aller.
La performance de Lola Lafon ici, c'est d'intéresser des lecteurs à une gymnaste, mais au-delà à un pays. Les Ceaucescu feront en effet bien sûr de la jeune fille un outil de communication imparable aux yeux du monde, pour la dissimuler ensuite lorsqu'elle prendra trop de place. Son parcours semble calquer celui du bloc de l'est. Elle quittera d'ailleurs le Roumanie quelques semaines à peine avant la chute du terrible couple de souverains rouges, dont les images des corps éxécutés hantent la mémoire collective du Noël 1989.
Il est question de Nadia et d'exercices à la poutre, mais aussi d'écoutes téléphoniques, de denrées en polystyrène dans les vitrines des magasins, de gratuité de la scolarité, d'excellence, et de jugements à l'emporte-pièce de ceux de l'ouest. Une biographie fictive, documentée et vraisemblable qui retrace les 25 dernières années de la Roumanie communiste. Très réussi.
La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon (France).
Babel. 320 pages. 8, 70 €