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  • Les chutes, Joyce Carol Oates

    v_book_239 (1).jpgUn lieu peut-il influencer des histoires personnelles, générer une fatalité ? Les chutes de Joyce Carol Oates sont celles du Niagara. Haut-lieu touristique, avec son pendant moins reluisant : la rivière tumultueuse est aussi la capitale des suicidés. Et c'est ainsi que commence le roman, dans les brumes des chutes comme dans celle d'un événement étrange et intriguant : un jeune homme se jette dans les rapides pendant sa nuit de noces. Ariah, veuve précoce, va devoir survivre au suicide de son mari, sans qu'aucune explication ne vienne l'apaiser.

    Les Chutes est une saga familiale, dont le pivot central est incontestablement Ariah, mais qui donne l'impression d'une valse pendant laquelle on change incessamment de partenaire. On tourne avec un personnage, on sait ce qu'il sait, on arpente son esprit, par fragments. Puis on passe au suivant. La conversation précédente s'interrompt et on relance la danse.

    Les Chutes est aussi le roman d'une époque et d'une culture. Les Etats-Unis des années 60 ne rechignent pas à combler des canaux souterrains avec des déchets radioactifs, puis à construire des écoles et des quartiers ouvriers dessus. A nier les conséquences. A faire taire ceux qui voudraient parler trop fort de ces enfants leucémiques, de ces boues fétides qui remontent dans les jardins.

    Les Chutes est enfin un roman psychologique fin, subtil et réaliste qui capte à travers plusieurs générations les conséquences et les questionnements sur le silence, le mensonge, la filiation et le poids du regard de l'autre.

    Les Chutes, Joyce Carol Oates (USA). Editions Philippe Rey, collection Fugues.

    672 pages. 12, 90 €

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  • La grâce des brigands, Véronique Ovaldé

    Canada, Californie, USA, famille, écritureDu Canada puritain à la Californie, il n'y a qu'un trajet que la jeune Maria Cristina Väätonen va se décider à effectuer, adoubée discrètement par son finlandais et taiseux de père. Les études seront pour elle l'occasion rêvée de quitter les griffes d'une famille et d'une communautés peu portées sur la bienveillance où "ce qui était dit n'était jamais ce qui était prononcé". De s'affranchir de la culpabilité d'une soeur dont le cadran biologique est resté bloqué à l'adolescence.

    Nous sommes dans les années 1970, à Los Angeles. Pour Maria Cristina, les occasions de s'émanciper sont partout, tout le temps. En devenant secrétaire particulière de Claramunt, sulfureux écrivain à forte tendance mégalo-mythomane, elle plonge dans un univers qu'elle ne soupçonnait pas. Pour garder les pieds sur terre, il y a la protection bienvenue de Joanne, sa colocataire fantasque. Et puis Judy Garland, ce chauffeur mystérieux. Ses rêves d'écriture se concrétisant, elle va rencontrer le succès, dépasser le maître Claramunt. Et puis un jour le téléphone sonne et signale que c'est l'heure des comptes, là-bas, à Lapérouse, Canada. Pendant qu'elle y était persona non grata, son père est mort. Sa soeur a eu un enfant avec un gourou pétri de mauvaises intentions. Et sa mère a vieilli. Beaucoup. 

    Mais l'absence n'a pas effacé les liens. Maria Cristina va devoir donner de sa personne. A son corps défendant d'abord. Puis avec évidence.

    Véronique Ovaldé confirme dans ce roman ses talents de conteuse (déjà bien présents dans Des vies d'oiseaux), à travers un mode de narration astucieux et une chronologie désaccordée. L'envie de savoir titille, tout au long du roman. Un état de grâce sans nul doute que cette lecture très recommandable.

    La grâce des brigands, Véronique Ovaldé (France). Points. 240 pages. 6, 90 €

    Ce roman fait partie de la sélection 2014 du Prix du meilleur roman des lecteurs de Points.

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  • La singulière tristesse du gâteau au citron, Aimee Bender

    41XLXdV2+1L._.jpgEtre ému par un roman, ça arrive. Choqué, ravi, déçu, transcendé aussi. Mais en lisant La singulière tristesse du gâteau au citron, on se rend brutalement compte qu'être surpris, vraiment surpris, par un roman, ce n'est pas si courant que ça. On aurait peut-être un peu tendance à rechercher toujours un peu les mêmes ingrédients dans les textes (et tenir un blog permet d'en prendre pleinement conscience). Les dosages changent, les décors aussi, mais les épices demeurent toujours un peu les mêmes... A moins qu'on nous "impose" des lectures, comme ce fut le cas pour moi en quelque sorte avec ce roman sélectionné dans le prix des lecteurs des éditions Points, et qu'on nous dirige ainsi vers des parfums différents.

    Les ingrédients classiques étaient là : une vie de famille à Los Angeles, avec père, mère, garçon et fille. Une mère un peu triste, un père un peu distant, un grand frère un peu différent, et une jeune fille narratrice, Rose, qui s'accommode de tout ça. Mais un jour, en croquant à pleines dents dans le gâteau au citron avec nappage chocolat que lui a préparé sa mère, toutes les données vont se décaler, permuter, changer de sens. Rose ressent, en mangeant ce gâteau, l'état d'esprit qu'avait sa mère au moment de le concocter. Bien pratique, me direz-vous, mais on n'entre pas sans risque dans le coeur des autres. 

    La singulière tristesse du gâteau au citron est une fable savamment orchestrée. Les touches discrètes et successives d'informations étranges font adhérer le lecteur, en douceur, à une idée un peu folle. Fantastique.

    La singulière tristesse du gâteau au citron, Aimee Bender (USA). Points. 330 pages.

    7, 20 €.

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  • Télex de Cuba, Rachel Kushner

    002528983.jpgAmateurs d'histoires familiales sur fond historique, ce roman est pour vous. Le contexte ? Le Cuba d'avant les frères Castro, quand les Américains régnaient en maîtres sur une terre fertile pour faire pousser les fruits, où la main d'oeuvre elle aussi se trouvait à foison, sur place ou en provenance d'Haïti. Des Américains businessmen à l'envi, qui sous couvert de développement économique imposaient leurs propres règles du jeu : un droit du travail "maison", des règles arbitraires. 

    La famille Stites vit ainsi à Cuba. Luxueusement, voluptueusement, puisque le père est le dirigeant de la société "United fruits". Mais pas si tranquillement quand même. Del, le fils aîné, disparaît un jour pour combattre aux côtés des rebelles. Vraie conviction ou révolte à court terme, l'affront est vif et douloureux pour la famille. Et puis il y a cette micro-société américaine qui se recrée sous les tropiques, digne d'une organisation de castes. Petits drames pour tromper l'ennui et observations médisantes jalonnent le quotidien des femmes. Mais il fait beau, mais on est riches. Alors on reste. 

    Il y a les autres aussi, ceux qui débarquent à Cuba parce qu'ils ont des choses à faire oublier, aux Etats-Unis, en Europe. Comme si les alcools forts sous les tropiques pouvaient réellement favoriser l'amnésie. Quelques mercenaires comptent parmi eux, bien intégrés dans la société, sirotant des cocktails comme les autres dans les soirées du Club. Leur fiabilité en temps de crise sera peut-être limitée...

    Le pouvoir des rebelles menés par les frères Castro finit par grandir. Le jour où les plantations de canne à sucre sont incendiées, les hommes d'affaire américains enlevés, les avions de Batista commencent à survoler pesamment le ciel de Nicaro. La menace est partout. Alors on pressent l'exil, même si ce roman de Rachel Kushner ne l'évoque jamais explicitement.

    Télex de Cuba, Rachel Kushner (USA). Points. 477 pages. 8 €.

    Ce roman fait partie de la sélection du Prix du meilleur roman des éditions Points.

     

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  • Le monde à l'endroit, Ron Rash

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    Etre jeune et subir les saisons et la culture délicate du tabac, en compagnie d'un père irascible, Travis le supporte de moins en moins bien. Quand il tombe sur quelques plants de cannabis à maturité en longeant la rivière lors d'une quête à la truite, il se dit qu'il suffirait de les ramasser et de les revendre, pour arrondir ses fins de mois ni vu ni connu. Sauf que les redoutables Toomey père et fils, qui ont quelques mois plus tôt semé les graines des psychotropes en puissance, ne l'entendent pas de cette oreille. La vengeance risquait d'être terrible. Pas de déception, elle le sera : les Toomey savent repérer le talon d'Achille de leurs ennemis...

    Heureusement, Travis fait la connaissance de Leonard, zonard érudit et dealer vivant dans un mobil-home en compagnie d'une faune humaine un peu disparate. Leonard, l'ancien prof mis sur la touche, le père déclassé, le mari rejeté. Il connaît un paquet de choses sur la guerre de Sécession et ses épisodes sanglants, qui fascinent Travis. Un nouvel élan va naître de cette rencontre, en Travis comme en Leonard. La question est bien sûr : pour combien de temps ?

    Le monde à l'endroit, c'est une oscillation permanente entre la tentation du conte de fées et le principe de réalité. Reste à savoir lequel des deux aura le dernier mot.

    Le monde à l'endroit, Ron Rash (Etats-Unis). Points. 320 pages. 7, 20 €

    Grands espaces, Etats-Unis, violence... Si Le monde à l'endroit vous parle, vous aimerez peut-être A Suspicious River, de Laura Kasischke, ou Sukkwan Island, de David Vann.

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  • A Suspicious river, Laura Kasischke

    usaIl paraît que les psys appellent ce phénomène la dissociation. Mon corps est un, la réalité est autre. Moyen de défense imparable contre les agressions irréparables. Dans sa ville froide et terne des Etats-Unis, Leïla a bien compris les avantages à tirer d'un tel fonctionnement. Et comme elle se pense vouée à un destin tragique, elle se laisse brûler à petits feux, sans jamais sentir la flamme.

    Dans le motel pourri de Suspicious River où elle est employée, Leïla accueille les clients de passage en chassant les odeurs de moisi infiltrées au plus profond des moquettes. Et puis, un jour, elle fait une passe. Elle se dit que comme ça, elle aura de l'argent le jour où. Elle ne sait pas pour quoi faire, mais en tous cas la machine est lancée, entre sexe et violence, cruauté et fatalité.

    On la voit s'étioler page après page, partir toujours plus loin au delà des limites, abandonner son corps, son âme. Se donner pour s'effacer, s'anéantir. Comme elle, on subit, on attend, sans trop savoir quoi.

    Plongée sans concession dans le cauchemar de l'âme humaine, A Suspicious River communique sa froideur avec une grande efficacité.

    A Suspicious River, Laura Kasischke (Etats-Unis). Le livre de poche. 384 pages. 7, 10 €

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  • Jours toxiques, Roxana Robinson

    usa,drogue,héroïne,addiction,familleSi une chose n'est plus à prouver dans la littérature, de quelque nationalité que ce soit, c'est que le thème de la famille est omniprésent. Rarement sous des jours très positifs il faut bien l'avouer. Roxana Robinson s'engage elle aussi dans ce territoire, mais le mot "toxique" ne va pas chez elle de paire uniquement avec les relations intra-familiales, aussi compliquées soient-elles. Si les jours que l'on partage avec ses personnages, dans la vieille maison brinquebalante du Maine, sont toxiques, c'est avant tout au sens propre.

    Julia, la mère, Wendell, le père, se font empoisonner à feu lent par l'héroïnomanie de leur fils cadet, Jack. Steven, l'aîné, supporte de moins en moins les incartades de son frère. Un frère qui est devenu un autre, prêt à tout, et inconscient de l'être, pour pallier au manque morbide et intolérable. Mensonges, fugues, vols. Et pour chacun la grande remise en cause ; qu'ai-je fait ? que n'ai-je pas fait ? et surtout, que puis-je faire maintenant ? Même les grands-parents et la tante de Jack se retrouvent questionnés par les événements. 

    L'écriture de Roxana Robinson glisse insensiblement des pensées de Jack à celles des autres personnages, presque sans qu'on n'y prenne garde. Tous les raisonnements vacillent sous l'incompréhension et les questions obsédantes. Sauf ceux de Jack. Car Jack ne se pose pas de question. Il obéit à sa dépendance.

    Fascinant.

    Jours toxiques, Roxana Robinson (USA). 10/18. 589 pages. 9, 60 €

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