
Il y a quelque chose d'hypnotique dans les romans d'Audur Ava Olafsdottir, et cela va crescendo depuis Rosa Candida, (un des premiers coups de coeurs de ce blog) conte initiatique et road-movie. Avec L'embellie, déjà, l'auteure islandaise intégrait des petites touches étranges dans son récit. Et L'exception confirme la règle ! Une accumulation de bizarreries, qui, ajoutées à la nuit polaire et aux champs de lave, créent une ambiance vraiment singulière.
Maria est larguée par son mari Floki un soir de réveillon du nouvel an, entre deux coupes de champagne. Il la quitte pour un homme. Ah. Elle va vivre seule avec ses jumeaux de 2 ans. Bon. Maria encaisse, sans plus de surprise apparente. Pas de scène, pas de cri. Peut-être une stupeur intériorisée mais sans plus. Quelques coups de fil dans les jours qui suivent pour poser des questions précises. Un corbeau rôde dans le jardin glacé d'un décembre de Reykjavik. Le jeune voisin toque souvent à la porte. Tiens, un spécialiste des oiseaux. La voisine, avec sa petite taille et ses déclarations étranges, tient le rôle du lutin mystérieux. Elle occupe plusieurs emplois originaux sur lesquels un voile opaque est posé, et visite sa voisine éplorée par une porte commune de buanderie qui fait office de passage secret des temps modernes.
On retrouve dans les romans d'Audur Ava Olafsdottir des thèmes incontournables : l'abandon, la petite enfance, la parentalité, la différence et surtout le départ, le voyage, l'aventure, comme moyens de reprendre le dessus quand les embrouilles s'accumulent. Un grand bol d'air frais à chaque fois !
L'exception, Audur Ava Olafsdottir (Islande). Points. 286 pages. 7, 50 €


Le dîner, d'Herman Koch, se déroule aux Pays Bas. Dans ce "grand" restaurant, bonnes manières riment avec bonne chère, et la retenue n'a d'égale que l'élégance. Ca, c'est pour le cadre, la petite musique de fond. Car c'est de violence et d'amoralité dont parle ce roman, dont l'originalité est de tisser ses pages autour d'une seule unité de temps, ce fameux dîner. Deux frères, qui ont reçu une bonne éducation et évoluent dans les sphères privilégiées d'un pays développé, ont élevé leurs enfants, devenus adolescents. Un jour pourtant, les rouages se grippent, avec une brutalité inouïe. Les fils vont commettre un acte haineux, honteux, scandaleux, incroyable. Quelles réactions vont adopter leurs parents ? Où se place, au bout du compte, le curseur de la morale quand on tient à sauver sa peau, sa famille, les apparences ? Plus on approche du dessert et plus l'auteur nous bluffe. Herman Koch souffle le chaud et le froid sur ses lecteurs en les tenant en haleine et en les amenant où ils ne veulent sans doute pas aller : de l'autre côté de la bienséance.
En découvrant les premières lignes de La singulière tristesse du gâteau au citron, de l'Américaine Aimee Bender, on se dit que tous les ingrédients romanesques classiques sont là : une vie de famille à Los Angeles, avec père, mère, garçon et fille. Une mère un peu triste, un père un peu distant, un grand frère un peu différent, et une jeune fille narratrice, Rose, qui s'accommode de tout ça. Mais un jour, en croquant à pleines dents dans le gâteau au citron avec nappage chocolat que lui a préparé sa mère, toutes les données vont se décaler, permuter, changer de sens. Rose ressent, en mangeant ce gâteau, l'état d'esprit qu'avait sa mère au moment de le concocter. Bien pratique, me direz-vous, mais on n'entre pas sans risque dans le coeur des autres. Les touches discrètes et successives d'informations étranges font adhérer le lecteur, en douceur, à une idée un peu folle... fantastique.
Un petit tour en Espagne pour finir, avec Petites infamies, de Carmen Posadas, un roman à l'ambiance résolument inspirée d'Agatha Christie. Néstor Chaffino, traiteur de renom, est retrouvé congelé dans une chambre froide. Le huis-clos se resserre sur les invités de la soirée, qui auraient tous eu une bonne raison de refroidir le chef. Suspense et cynisme au menu.
Quand, il y a quelques années, Gaëlle Josse a arpenté les couloirs d'Ellis Island, elle a été happée par les regards qui habitaient les murs. Ces regards de migrants, photographiés au cours des années dans cette antichambre de la vie américaine, du possible futur en terre de liberté et de prospérité. Car avant de devenir -peut-être- un Américain libre, il fallait subir l'expectative, l'humiliation du "tri", l'isolement, le déracinement sur cet îlot.