Le dîner, d'Herman Koch, se déroule aux Pays Bas. Dans ce "grand" restaurant, bonnes manières riment avec bonne chère, et la retenue n'a d'égale que l'élégance. Ca, c'est pour le cadre, la petite musique de fond. Car c'est de violence et d'amoralité dont parle ce roman, dont l'originalité est de tisser ses pages autour d'une seule unité de temps, ce fameux dîner. Deux frères, qui ont reçu une bonne éducation et évoluent dans les sphères privilégiées d'un pays développé, ont élevé leurs enfants, devenus adolescents. Un jour pourtant, les rouages se grippent, avec une brutalité inouïe. Les fils vont commettre un acte haineux, honteux, scandaleux, incroyable. Quelles réactions vont adopter leurs parents ? Où se place, au bout du compte, le curseur de la morale quand on tient à sauver sa peau, sa famille, les apparences ? Plus on approche du dessert et plus l'auteur nous bluffe. Herman Koch souffle le chaud et le froid sur ses lecteurs en les tenant en haleine et en les amenant où ils ne veulent sans doute pas aller : de l'autre côté de la bienséance.
En découvrant les premières lignes de La singulière tristesse du gâteau au citron, de l'Américaine Aimee Bender, on se dit que tous les ingrédients romanesques classiques sont là : une vie de famille à Los Angeles, avec père, mère, garçon et fille. Une mère un peu triste, un père un peu distant, un grand frère un peu différent, et une jeune fille narratrice, Rose, qui s'accommode de tout ça. Mais un jour, en croquant à pleines dents dans le gâteau au citron avec nappage chocolat que lui a préparé sa mère, toutes les données vont se décaler, permuter, changer de sens. Rose ressent, en mangeant ce gâteau, l'état d'esprit qu'avait sa mère au moment de le concocter. Bien pratique, me direz-vous, mais on n'entre pas sans risque dans le coeur des autres. Les touches discrètes et successives d'informations étranges font adhérer le lecteur, en douceur, à une idée un peu folle... fantastique.
Un petit tour en Espagne pour finir, avec Petites infamies, de Carmen Posadas, un roman à l'ambiance résolument inspirée d'Agatha Christie. Néstor Chaffino, traiteur de renom, est retrouvé congelé dans une chambre froide. Le huis-clos se resserre sur les invités de la soirée, qui auraient tous eu une bonne raison de refroidir le chef. Suspense et cynisme au menu.
Le dîner, Herman Koch. Editions 10/18. 355 p. 8, 10 €
Petites infamies, Carmen Posadas. Points. 303 p. 7, 30 €
La singulière tristesse du gâteau au citron, Aimee Bender. Points. 330 p. 7, 30 €
Amateurs de féérie de Noël et de grandes tablées familiales conviviales et sans arrière pensée, passez votre chemin. On a beau chercher dans la littérature, l'évocation des fêtes de fin d'année s'accompagne la plupart du temps de situations au mieux « nerveuses », au pire apocalyptiques. Pas de repos pour les braves enquêteurs suédois, par exemple. Dans Cyanure, la reine du polar Camilla Läckberg envoie son policier Martin Molin passer le réveillon dans sa belle famille, sur une île de la côte ouest. Evidemment, il fait froid, mais ajoutez à cela la tempête de neige, des révélations fracassantes et un empoisonnement, et voilà la perspective d'un Noël chaleureux avec boulettes de viande, chandails en jacquard et feu de bois crépitant qui s'éloigne à grands pas.
C'est dans le massif de la Vanoise que la Française Claudie Gallay plante le décor de
André Bucher, l'auteur de Déneiger le ciel, associe les paysages de montagne enneigée aux rêveries d'un homme mûr. David, 60 ans, est déneigeur dans une commune de la vallée du Jabron, dans les Alpes de Haute-Provence. Alors qu'il avance dans la neige hostile à la rencontre de son « fils de rechange » venu réveillonner avec lui, ses pensées, oniriques, poétiques, délirantes ou nostalgiques se succèdent, dans la lenteur et le contact perpétuel à la nature. En prise avec le passé, mais bien en accord avec le monde qui l'entoure, ce roman est tout en douceur.
On se réveille un matin avec la réconfortante impression que tout ça n'était qu'un rêve. Qu'une telle horreur n'a pas pu survenir. Cela dure quelques secondes à peine et le boomerang vous frappe à nouveau. Si. C'est arrivé. Des dessinateurs, des journalistes, ont été exécutés, en France, en plein Paris, pour ce qu'ils représentaient. La liberté d'expression.



