Arrivé un jour en France avec deux oranges dans sa besace, fuyant l'Espagne franquiste, il finira quelques dizaines d'années après par devenir le spécialiste des agrumes et de la soupe majorquine dans les halles de Quimper. Parce que passer la frontière ne semblait pas suffisant pour fuir l'ombre du caudillo, il est monté se mettre au frais dans le Finistère et a pris femme parmi les Bretonnes. Comme un conte, mais en moins facile.
Dans l'affaire familiale de fruits et légumes, créée par le grand-père majorcain, continuée par le fils et observée d'un oeil méfiant et attendri par le petit-fils, il y a les bons jours et les autres, les temps de vache maigre et ceux de l'ivresse des billets décomptés en fin de marché. Les gros coups de pas de chance, et les rouleaux compresseurs du monde qui bouge. Surtout là, dans ce coin de France, où un épicier audacieux dont on n'a pas fini d'entendre parler vient de dégoter une idée révolutionnaire : le supermarché. Il faudra faire avec. Ou peut-être pas.
Le rythme est partout dans les mots d'Anthony Palou, les comparaisons bien trouvées, et l'humour se dresse en bouclier pudique, en pare-feu contre l'apitoiement. Sensible, donc. Drôle, on l'a dit. Un brin nostalgique et un rien désabusé.
Fruits et légumes, Anthony Palou (France). J'ai lu. 124 pages. 5, 60 €
Si vous avez aimé Fruits et légumes, vous aimerez sans doute La petite cloche au son grêle, de Paul Vacca.

La famille, les amours, l'amitié. Ainsi se résume la trilogie affective des vies humaines. Pour Alice et Cécile, les deux femmes qui occupent la première place dans ce roman, les amours auront été, au cours des longues années de leurs existences, fluctuantes, tandis que les rôles de leurs familles et de leur amitié auront traversé sans broncher -ou presque- les changements sociétaux, politiques, ou culturels de leur pays, la France. De mai 1981 aux smartphones, les amies grandissent, mûrissent, vieillissent ensemble, se désillusionnent et s'enthousiasment au gré des événements. Se serrent les coudes. Et puis un jour -gâchis- s'éloignent.
Vu d'Europe de l'ouest, un jour le mur de Berlin est tombé, et avec lui le rideau de fer et toute une époque. La narratrice de ce roman - comme Sofi Oksanen du reste- est Finlandaise, de mère Estonienne. Les Estoniens du début du 20 ème siècle ont dû devenir des soviétiques. Sans être des Russes, avec lesquels ils ne partagent pas grand chose. Vu de Finlande, le pays riche et puissant de l'autre coté du golfe, les Estoniennes sont les femmes qui cherchent à se marier avec un homme de l'ouest, ou simplement à faire une passe pour une paire de collants ou des tampons hygiéniques. Le rapport de force est injuste forcément. La perception de l'autre, de l'étranger pourtant si proche, est déformée, faussée.