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  • Le dîner, Herman Koch

     

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    C'est aux Pays-bas que nous dinons ce soir. Petits plats dans les grands, il s'agit d'un "grand" restaurant, bonnes manières riment ici avec bonne chère. Alors si en plus vous dinez avec le futur premier ministre du pays, qui n'est autre que votre frère, il paraît évident qu'il s'agira d'un moment agréable, tout en retenue et en élégance. Ca, c'est pour le cadre, la petite musique de fond. 

    Car c'est de violence et d'amoralité dont parle ce roman, dont l'originalité est de tisser ses pages autour d'une seule unité de temps, ce fameux dîner. Deux frères, qui ont reçu une bonne éducation et évoluent dans les sphères privilégiées d'un pays développé, ont élevé leurs enfants, devenus adolescents. Un jour pourtant, les rouages se grippent, avec une brutalité inouïe. Les fils vont commettre un acte haineux, honteux, scandaleux, incroyable. Quelles réactions vont adopter leurs parents ? Où se place, au bout du compte, le curseur de la morale quand on tient à sauver sa peau, sa famille, les apparences ?

    Plus on approche du dessert et plus l'auteur nous bluffe. Herman Koch souffle le chaud et le froid sur ses lecteurs en les tenant en haleine et en les amenant où ils ne veulent sans doute pas aller : de l'autre côté de la bienséance. C'est agréable et dérangeant.

    Le dîner, Herman Koch (Pays-bas). 10 / 18. 355 pages. 8, 10 €.

    Catégories : Livre 2 commentaires
  • Emilie Frèche : Mère et femme ? Oui, mais pas au même moment...

     

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    Emilie Frèche est l'auteure du très réjouissant Chouquette, un roman de femmes. Des femmes larguées et attachantes, culpabilisées et désinhibées. Emilie Frèche a accepté de répondre, avec une grande sensibilité, aux questions de Fais-moi les poches ! sur ce livre qui fait le point, à sa façon, sur la condition féminine.

    Fais-moi les poches  -Catherine est une femme en crise personnelle engloutie -malgré elle et sans vraiment s'en apercevoir- dans la crise financière. Ce contexte était-il important pour mettre en scène votre personnage ?

    Emilie Frèche - Le contexte de la crise financière était très important, car c'est un livre sur la décadence. Sur la fin d'une époque. Celle de l'argent facile, de la jeunesse éternelle d'une génération qui ne veut pas céder sa place, d'un capitalisme qui se vivait comme la fin de l'Histoire et qui, comme tout ce système, arrive à sa fin. La crise financière répond à la crise intime que traverse Chouquette, et intensifie le sentiment de naufrage qui habite tout le roman.

    FMLP - Catherine, la grand-mère "indigne", ou sa fille, l'humanitaire à l'instinct maternel : laquelle de ces deux femmes vous semble-t-elle correspondre le mieux à son époque ?

    E.F - Il me semble que Catherine, comme Adèle, sont les archétypes de leur génération. Chouquette, celle des soixante-huitards qui a décidé pour l'éternité qu'ils seraient jeunes, libres, cools, festifs, amoraux, et puis Adèle, l'enfant issue de cette génération, sans repères, sans interdits à devoir enfreindre, et qui du coup pour se construire, devient "la mère de sa mère": une fille très sérieuse, très rigide, pleine de principes, qui fait de l'humanitaire parce qu'elle a une conscience aigüe du monde dans lequel elle vit - même si elle n'est pas fichue de s'occuper de son fils...

    FMLP-Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une femme de 60 ans ?

    E.F - La plus grosse avancée, pour les femmes, s'est faite dans les années 60-70: divorce, pilule, avortement... Elles ont été formidables, en se libérant de tant de choses, elles nous ont permis de grandir dans un monde où notre place, en tant que femmes, nous a toujours semblé évidente (même si il reste encore des disparités), et j'avais envie de voir, cinquante ans plus tard, où ces femmes en étaient dans leur vie. Est-ce qu'elles étaient heureuses ? Epanouies ? Je ne crois pas, car on peut se libérer de tout, mais pas de l'amour. C'est le cas de Chouquette, esclave de ses sentiments pour un mari odieux. Et quand on s'en libère, on souffre d'en manquer; c'est le cas de Diane Van Keler qui, malgré sa réussite professionnelle, sa beauté, sa vie sexuelle intense, vit dans une misère affective absolue.

    FMLP-Au bout du compte, être mère et femme, cela vous semble compatible ?

    E.F - Oui, bien sûr, heureusement qu'on peut être à la fois mère et femme. Mais peut-être pas au même moment, peut-être pas toujours parfaitement, ou aussi intensément - et ce n'est pas très grave. Et c'est le "ce n'est pas très grave" qu'il faut retenir ! Je crois que la femme moderne est une femme dotée du don d'ubiquité - d'ailleurs, j'ai écrit un roman sur la question, Une femme normale (Points Seuil), qui est le portrait d'une femme vue par trente personnages de son entourage: il y a trente femmes différentes, et c'est ça la normalité !

    FMLP-Que ressentez-vous pour Catherine ?

    E.F - Au premier abord, de l'agacement, du mépris, de la colère aussi, peut-être un peu de pitié, mais au bout du compte, de la jalousie je crois. Car Chouquette a eu cette chance inouïe d'aimer un homme pendant trente ans. De l'aimer vraiment. Aimer fait souffrir, certes, mais rend si vivant... J'envie le coeur qui bat de Chouquette

    FMLP-Pourquoi n'accordez-vous aux hommes que des rôles invisibles (ou presque) ?

    E.F  - Quand vous aurez lu Deux Etrangers, vous ne pourrez plus dire cela! C'est un roman sur une fille qui part retrouver son père après sept ans de silence. Le père est la figure masculine par essence, la toute première, et je crois que j'ai eu du mal à m'y attaquer, mais maintenant que c'est fait, les hommes pourront avoir la part belle dans mes livres !

    Photo :  Mélania Avanzato

    Emilie Frèche est l'auteure de Deux étrangers (Actes Sud), et en poche : Une femme normale (Points), Le film de Jacky Cukier (Babel).

    Catégories : Livre, Rencontres 0 commentaire
  • Chouquette, Emilie Frèche

    41Ke3RTP2aL._SL500_.jpgLa saison des mères et grands-mères indignes continue, après Rien ne s'oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, La tour d'arsenic, d'Anne B. Radge, voici Chouquette. Indigne certes, elle aussi, dans son rôle de mère et de grand-mère, mais assumée... Enfin, c'est ce que voudrait montrer Catherine, la grand-mère en question, pour qui les apparences font force de loi. Quitte à se mentir à soi-même sur bien des sujets et par de multiples artifices, mêlant le déni et le lifting. 

    Aigre et vacharde, Catherine n'épargne rien à personne : sa fille, ses domestiques, ses amis, son petit-fils, sa fausse-vraie meilleure amie. Personne ne trouve grâce à ses yeux, à part Jean-Pierre, son mari... Sauf qu'il l'a quittée depuis des mois et qu'elle est la seule à sembler ne pas le savoir.

    Reste que Catherine n'est pas la seule à en prendre pour son matricule. Egoïste jusqu'à la nausée, superficielle jusqu'à... Saint-Tropez, serait-elle pour autant plus condamnable que sa fille, pourtant philanthrope et altruiste ?

    Humour féroce et clairvoyance se partagent la vedette dans ce roman fin, surprenant et pas du tout "politiquement correct". Délicieux. A découvrir d'urgence !

     

    Chouquette, Emilie Frèche (France). J'ai Lu. 157 pages. 6 €.

    Catégories : Livre 1 commentaire
  • Entretien avec un vampire : Philippe Jaenada

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    Nous continuons notre voyage en Transylvanie en compagnie de Philippe Jaenada. Il nous dit tout sur l'écriture de "Bogdana", sa nouvelle vampirique de Bienvenue en Transylvanie. Tout, et un peu plus...

    Fais-moi les poches : - Pour établir ce recueil, avez-vous travaillé en concertation avec les autres auteurs ou avez-vous découvert les nouvelles des autres après l'écriture ?

    Philippe Jaenada : -Non, j'ai fait ça tout seul dans mon coin. Je connais plusieurs des auteurs qui ont participé au recueil, mais je ne les ai pas contactés au moment de l'écriture, je ne sais pas du tout ce qu'ils ont fait (j'ai un peu honte, je n'ai toujours pas lu).

    FMLP : - Vous poussez le souci du réalisme jusqu'à « inviter » un vampire dans votre propre famille... Ça ne les dérange pas ?

    P.J : - Ça ne risque pas de trop les déranger, car tout est vrai. Presque. Mon oncle (par alliance) roumain ressemble en tout point à celui de la nouvelle. Quand les choses sont vraies, on peut les écrire, non ?

    FMLP : -La scène où la jeune fille terrifiée surgit dans la forêt est digne d'un film comme « Projet Blair Witch » en terme d'épouvante. Qu'est-ce qui vous a inspiré pour l'écrire ?

    P.J : - Ce qui m'a inspiré, c'est la réalité, bien sûr. Non, bon, d'accord, le "presque" de la réponse du dessus est un peu vrai là, pour être honnête. Je me suis inspiré d'une sorte de légende que j'ai trouvée dans un magazine d'héroïc fantasy (ou quelque chose comme ça, je ne sais pas exactement comment s'appellent ces trucs-là) que lit mon fils. Mais faut pas le dire.

    FMLP : - Etes vous sûr et certain de ne pas avoir reçu d'héritage vampirique de votre oncle ?

    P.J :- Pas sûr, non. Un auteur qui utilise ce qui l'entoure, les gens qu'il connaît, pour en nourrir ses histoires, c'est un genre de vampire, il me semble. D'ailleurs, approchez, n'ayez pas peur, montrez-moi votre cou.

    Philippe Jaenada est l'auteur de Le Chameau sauvage (Prix de Flore 1997, adapté au cinéma sous le titre "A + Pollux"), La grande à bouche molle, Nefertiti dans un champ de canne à sucre, Le cosmonaute, Les Brutes, Plage de Manaccora, 16 h 30, La femme et l'ours... disponibles chez J'ai lu ou Points.

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  • Echange avec Martin Page : être un humain défectueux ou un vampire assumé ?

    Martin Page (c) Patrice Normand (2).jpgA l'occasion de la sortie de Bienvenue en Transylvanie, Martin Page, un des auteurs des 9 nouvelles vampiriques du recueil, a accepté de répondre à "Fais-moi les poches !" sur Astrid, son personnage de vampire, et sur sa représentation de ce mythe. Encore faudrait-il qu'il s'agisse d'un mythe...
     
    FM LP - Avez-vous une explication à la renaissance actuelle du thème du vampire ?
    Martin Page - Les vampires n'arrêtent pas de renaître. Quand j'étais plus jeune, les livres d'Ann Rice étaient de grands succès. C'est une illusion d'optique de croire que les vampires réapparaissent aujourd'hui. A chaque époque, ils prennent de nouvelles formes. Il y a eu Je suis une légende, de Matheson, Les prédateurs, de Tony Scott, au cinéma. 
    C'est un thème qui ne meurt pas. Il fait partie de notre inconscient collectif.
     
    FMLP - Votre vampire est, à la "ville", un être mal dans sa peau, qui ne correspond pas aux "normes". Devenir vampire serait-il pour elle un moyen de se venger de la société ? Avez vous voulu donner une dimension sociale à votre vampire ? 
    M.P - Devenir un vampire, dans mon histoire, n'est pas un choix. C'est une conséquence. Une maladie. Mais une maladie qui est aussi une adaptation : elle permet de se sauver. Elle arrache mon héroïne à l'espèce humaine, une espèce au sein de laquelle elle était en souffrance. Sa transformation en vampire est un moyen de vivre suivant sa sensibilité, son étrangeté.
    Bien sûr, il y a une dimension de critique sociale à mon histoire. Cela m'intéresse de parler des violences invisibles des gens bien éduqués, de la norme, et de défendre ceux qui, parce que trop sensibles, sont inadaptés.
     
    FMLP - Ne manifestez-vous pas dans votre texte plus de sympathie pour les vampires que pour les êtres humains ? Astrid n'a-t-elle pas des excuses que les gens "normaux" n'ont pas ?
    M.P - Je ne sais pas si Astrid a des excuses. Je ne crois pas. Il reste que oui je défends les vampires, incarnation pour moi de la différence et de l'extrême sensibilité. J'ai un point de vue particulier j'en conviens : la norme et l'humanité sont la réelle monstruosité. Les monstres sont les vraies créatures douces et humaines.
     
    FMLP - Hypnose, sophrologie, médecine générale, psychiatrie, Astrid cherche toutes les solutions possibles pour améliorer son mal-être, influencée par la lecture des magazines. Finalement, quitte à ne pas être dans la norme, elle va passer "de l'autre côté", en subissant l'influence d'un personnage clé.... Est-elle enrôlée ? Pouvait-elle faire autrement que devenir vampire ? Mettez-vous du symbole dans tout cela ?
    M.P - Elle n'est pas enrôlée. Elle est aidée et accompagnée. Non, elle n'avait pas le choix. A terme, c'était soit accepter sa nature de vampire, soit s'isoler davantage encore et s'enfoncer dans le malheur.
     
    FMLP - Etes-vous vous-même un peu "vampire" ? 
    M.P - Je ne peux pas répondre à cette question. Un serment m'en empêche.
     
    Martin Page est l'auteur, notamment de Comment je suis devenu stupide, J'ai lu ;  Peut-être une histoire d'amour, La mauvaise habitude d'être soi, Une parfaite journée parfaite, Points ; Viennent de sortir : L'apiculture selon Samuel Beckett, éditions de l'Olivier et Plus tard, je serai moi, Rouergue (littérature jeunesse).
    Photo : Editions de l'Olivier.

    Catégories : Livre, Rencontres 1 commentaire
  • Bienvenue en Transylvanie, Neuf histoires de vampires

    61wzZISYlsL._AA1500_.jpgVoilà une idée glaçante : inviter les vampires dans notre quotidien. C'est le pari qu'ont relevé les 9 auteurs de ce recueil (un bel objet soit dit en passant, entre le poche et le broché). Le réalisme du cadre de ces nouvelles nous fait frissonner : il y est question de service militaire, de phobie sociale, de sophrologie, de femmes battues, de punks, de guerre en ex-Yougoslavie. Et au milieu de ces mots qui reflètent notre époque surgissent des vampires avides de sang humain. Pas comme dans les films. Pas comme dans les histoires de notre enfance. Ici et maintenant. Terrifiant.

    Bienvenue en Transylvanie, de David Foenkinos, Régis de Sa Moreira, Martin Page, Thomas B. Reverdy, Jean-Michel Guenassia, Jakuta Alikavazovic, Philippe Jaenada, Joël Egloff, François Bégaudeau. Points.

    9 €

    Catégories : Livre 0 commentaire
  • La tour d'arsenic, Anne B. Radge

    514FVHQ4B2L._SL500_AA300_.jpgPrenez une vieille femme qui vient de mourir. Imaginez maintenant ses enfants, hilares et soulagés, s'empressant de préparer un feu de joie avec les biens de la défunte. Combien aura-t-il fallu d'incompréhensions et de rancoeurs mal digérées pour en arriver là ? C'est ce que va essayer de comprendre la petite fille, elle-même devenue mère. Il lui faudra disséquer l'histoire familiale pour obtenir des amorces d'explications, mais comme un oignon dont on enlève sans relâche couche après couche, une découverte peut en cacher une autre, toujours. On remontera ici jusqu'au prémices du XXème siècle, car il faut sans aucun doute plusieurs générations pour porter un fardeau.

    Anne B. Radge raconte bien les histoires : elle campe un décor, et puis, tout à coup, on se rend compte que c'est le décor qui est devenu l'histoire. Et c'est plutôt plaisant de se faire abuser de la sorte.

    La tour d'arsenic, Anne B. Radge (Norvège). 10 /18. 499 pages.

    9, 10 €.

    Catégories : Littérature Scandinave 2 commentaires