Sélection de quelques romans qui prennent le pouls de l'Amérique d'hier et d'aujourd'hui, à la veille d'un scrutin très observé.
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, Harper Lee (1960)
S'il faut absolument lire, et dès le lycée, ce roman qui est devenu un grand classique, c'est parce qu'il contient, en condensé, toutes les thématiques qui agitent encore aujourd'hui les débats aux USA. Nous sommes en 1930, et l'avocat Atticus Finch exerce en Alabama, en plein cœur de l'Amérique sudiste. Le racisme y est tellement ancré qu'un noir est toujours forcément coupable. Alors défendre devant une cour Tom Robinson, un noir accusé d'avoir violé une jeune femme blanche s'avère un combat compliqué, malgré les nombreuses et évidentes preuves de l'innocence de l'accusé.
Les raisins de la colère, John Steinbeck (1939)
1930, la Grande Dépression. Partir, s'exiler pour travailler. Travailler pour manger. Manger pour survivre. Les Joad quittent l'Oklahoma, région agricole dévastée par les nuages de poussière, pour essayer de trouver du travail en Californie, où on leur a dit qu'il foisonnait. Les ouvriers agricoles qu'ils sont prennent la route en famille. Mais l'arrivée en Californie après un voyage très éprouvant ne répond pas à leurs attentes. Les grands propriétaires profitent de la misère pour baisser les salaires. Les tentatives d'organisation syndicale sont vouées à l'échec et la violence institutionnelle sévit.
Comment les fourmis m'ont sauvé la vie, Lucia Nevaï (2009)
Déterminisme social contre résilience, le combat est rude dans ce roman d'enfance. Nés dans une famille bringuebalante autant que la cabane qui l'abrite, Crane et ses frères et soeurs ont pour unique distraction le passage quotidien du train, dont les rails tremblent des dizaines de minutes auparavant pour qui sait tendre l'oreille. La jeune Crane a en outre la malchance d'être née avec une difformité au visage et des yeux défaillants, qui la font passer pour une idiote aveugle qu'elle est loin d'être. Et des malchances, elle en a d'autres, voyez un peu : une mère prostituée à ses heures, une deuxième mère folle de Dieu dans la même maison, un père évangéliste, des jeunes voisins sadiques, une soeur aînée alcoolique bien qu'encore enfant, un cadavre au plafond. Oui, ça fait beaucoup.
Alors le jour où les services sociaux mettent le nez dans tout ça, la famille est éclatée, mais ce sera -peut-être- une chance pour Crane...
Le récit emprunte la voix d'une enfant décalée et maline, avec fantaisie, audace et humour.
Les Chutes, Joyce Carol Oates (2006)
Un lieu peut-il influencer des histoires personnelles, générer une fatalité ? Les chutes de Joyce Carol Oates sont celles du Niagara. Haut-lieu touristique, avec son pendant moins reluisant : la rivière tumultueuse est aussi la capitale des suicidés. Et c'est ainsi que commence le roman, dans les brumes des chutes comme dans celle d'un événement étrange et intriguant : un jeune homme se jette dans les rapides pendant sa nuit de noces. Ariah, veuve précoce, va devoir survivre au suicide de son mari, sans qu'aucune explication ne vienne l'apaiser.
Les Chutes est une saga familiale, dont le pivot central est incontestablement Ariah, mais qui donne l'impression d'une valse pendant laquelle on change incessamment de partenaire. On tourne avec un personnage, on sait ce qu'il sait, on arpente son esprit, par fragments. Puis on passe au suivant. La conversation précédente s'interrompt et on relance la danse.
Les Chutes est aussi le roman d'une époque et d'une culture. Les Etats-Unis des années 60 ne rechignent pas à combler des canaux souterrains avec des déchets radioactifs, puis à construire des écoles et des quartiers ouvriers dessus. A nier les conséquences. A faire taire ceux qui voudraient parler trop fort de ces enfants leucémiques, de ces boues fétides qui remontent dans les jardins.
Les Chutes est enfin un roman psychologique fin, subtil et réaliste qui capte à travers plusieurs générations les conséquences et les questionnements sur le silence, le mensonge, la filiation et le poids du regard de l'autre.
Une odyssée américaine, Jim Harrison (2009)
Cliff a 62 ans. Sa chienne vient de mourir. Jeté par sa femme à l'heure de la retraite, sa ferme vendue, il décide de traverser les Etats-Unis en voiture. La pétulante Marybelle le rejoint bientôt, mais il lui préfèrera finalement la solitude. Au moins il peut s'arrêter quand il veut prendre des photos des troupeaux de vache, dont il raffole, au bord de la route. Il observe l'Amérique, celle qui mange, qui gagne de l'argent et qui voue à la réussite un culte sans comparaison. Il en deviendrait presque un ascète, s'il n'était pas aussi friand de viande rouge et qu'on ne lui avait pas collé un téléphone portable dans la poche...